Category: Culture

  • Détente, culture, festivals… L’offre Dakhla se diversifie – Jeune Afrique

    Détente, culture, festivals… L’offre Dakhla se diversifie – Jeune Afrique

    Kitesurf sur la plage de Dakhla, au sud de Marrakech, au Maroc. © AdobeStock.

    Soufiane Khabbachi. © Vincent Fournier pour JA


    • Soufiane Khabbachi
      – à Dakhla

    Publié le 11 October 2023
    Lecture : 5 minutes.

    S’il fallait donner une image de Dakhla fidèle à sa représentation dans l’imaginaire collectif, un simple cliché du « PK25 » suffirait. Cette zone, qui tire son nom de sa localisation (elle est située à 25 kilomètres au nord du centre-ville), est une bulle qui concentre à peu près tout ce que le voyageur standard peut avoir d’attentes et de projections sur la ville.

    En quelques années à peine, une douzaine d’hôtels sont venus border la lagune, où s’exercent quotidiennement de nombreux pratiquants de kitesurf. Si les différents établissements varient sensiblement leur packaging, l’offre reste globalement la même, et s’adresse à une clientèle aisée à la fibre écolo. Ici, les débutants peuvent profiter de la faible profondeur de l’eau pour s’initier à la discipline, tandis que les pratiquants plus confirmés peuvent y répéter leurs figures.

    Nichée aux confins des rives atlantiques du Sahara occidental, la « perle du désert » demeure presque exclusivement connue des voyageurs étrangers pour la pratique du kitesurf. Grâce à des conditions météorologiques favorables, Dakhla est devenue l’un des principaux spots mondiaux de la discipline. Au mois de septembre, elle a d’ailleurs accueilli, comme chaque année maintenant, l’une des étapes du championnat du monde. Mais peut-on faire autre chose que du kitesurf à Dakhla ?

    En 2022, 23 % des projets validés par la ville étaient consacrés au tourisme. Les autorités locales le savent, la ville n’est encore qu’au début de sa transformation. Elles font donc le nécessaire pour ne pas griller les étapes. Les quelques établissements qui se sont essayés à proposer une offre basée uniquement sur le triptyque piscine-plage-cocktails, excluant les aspects faisant la spécificité de son environnement, ont vite renoncé.

    « Pas une ville balnéaire »

    « Dakhla n’est pas une ville balnéaire et ne le sera jamais », estime Mounir Houari, directeur général du Centre régional d’investissement (CRI) pour la région de Dakhla-Oued Ed-Dahab. Les fortes rafales de vent qui soufflent vingt-quatre heures sur vingt-quatre et les courants marins trop agités ne rendent guère agréable l’expérience de la traditionnelle bronzette sur la plage.

    C’est l’une des raisons pour laquelle Dakhla entend d’abord poursuivre le développement de sa niche touristique avant d’envisager de diversifier son offre. Parallèlement, la commune réfléchit aux options pouvant s’insérer dans son offre actuelle. Le marché du « bien-être », par exemple, en plein essor dans la région, est de plus en plus prisé par les opérateurs touristiques et commerciaux, et beaucoup d’hôtels dispensent désormais des cours de yoga. Certains établissements proposent déjà des « retraites » de quelques semaines destinées aux personnes souhaitant effectuer des cures spécialisées. D’autres usagers peuvent simplement s’isoler et se reposer en profitant du cadre unique qu’offre la ville, en alternant les séances de kitesurf avec les passages au spa.

    « Nous opérons une diversification de notre offre d’animation. Il existe des programmes de subventions pouvant aller jusqu’à 30 % pour encourager tous les investissements dans l’animation touristique et hôtelière », commente Mounir Houari. « Des moyens sont aussi déployés pour développer la visibilité de la culture hassanie, étendre le tourisme à la partie désertique de la région », ajoute Nabil Ameziane, responsable de la promotion et de l’attractivité territoriale au sein du CRI.

    Mais la région voit plus loin. Depuis les investissements massifs injectés dans ses provinces du Sud en 2015, l’État n’a pas lésiné sur les moyens pour attirer des profils diplômés à même de participer au développement de la ville. Mais la municipalité en est bien consciente, si elle compte fidéliser les gens en provenance des grandes villes venus travailler sur son territoire, elle doit être en capacité de leur offrir les mêmes opportunités socio-économiques et récréatives que les autres grandes villes du royaume.

    De plus en plus d’événements

    « Des efforts sont faits pour développer un écosystème local », assure Laila Ouachi, une ancienne communicante rbatie basée depuis dix-sept ans à Dakhla, où elle a investi dans le secteur hôtelier. Une piscine municipale a vu le jour et un grand nombre de restaurants, de cafés et de terrains de proximité ouvrent chaque année. La ville accueille également de plus en plus d’événements annuels : courses solidaires, festivals de musique et de films… Les élèves scolarisés dans la ville commencent aussi à profiter des spécificités de la régions, et bénéficient de séances d’initiation au kitesurf.

    Plusieurs secteurs restent toutefois encore à développer, voire à créer. Comme celui du shopping. « À l’image de Tarifa, en Espagne, on pourrait tout à fait construire des espaces dédiés à l’implantation de petites boutiques », imagine Laila Ouachi. Un palais des congrès a aussi été bâti, dans le but d’accueillir davantage d’événements nationaux et internationaux, comme aime en organiser le Maroc. « C’est clair que ça n’a rien encore à voir avec Casablanca, où le degré d’animation n’est évidemment pas le même, concède Ghizlane, 37 ans, originaire de Casablanca, et qui réside aujourd’hui à Dakhla. « Mais c’est ce contraste qui me plaît. Il y a aussi pas mal de jeunes de ma génération et de plus en plus de cadres qui viennent travailler ici. »

    Après l’avoir découverte en 2012 lorsqu’elle y effectuait de la photo artistique, cette passionnée de mode et de photographie est tombée sous le charme de la région, où elle a ouvert, dès 2014, une agence de marketing et d’événementiel qui conseille des hôtels sur la partie artistique et sportive. Depuis 2021, elle passe la majeure partie de l’année à Dakhla. « Pour l’instant, la ville convient plus aux artistes ou à ceux qui viennent travailler dans le secteur du sport nautique. Nous avons beaucoup de talents du côté artistique, comme dans la musique. Nous avons une maison de l’artisan, et des galeries d’art qu’il faut faire vivre », détaille-t-elle.

    Pour l’instant, l’offre de loisirs dont disposent les habitants reste cependant un peu limitée. Nombre de cadres venus travailler à Dakhla effectuent des aller-retour réguliers à Casablanca ou Rabat, où résident toujours leurs familles. « Pour remplir son temps libre, il faut avoir une passion. Pour la nature ou le sport par exemple. Sinon, c’est vrai qu’on s’ennuie un peu, reconnaît Ghizlane, qui passe également plusieurs mois de l’année dans sa ville d’origine. Mais chaque chose en son temps. Il y a une vingtaine d’années, c’est à peine si la ville existait. »

  • Les plus grands artistes du Bénin invités à la Martinique – Jeune Afrique

    Les plus grands artistes du Bénin invités à la Martinique – Jeune Afrique

    Du 15 décembre 2023 au 31 mars 2024, la Fondation Clément accueillera à la Martinique une grande exposition intitulée Révélation ! et consacrée à l’art contemporain du Bénin. Organisé en partenariat avec l’Agence de développement des arts et de la culture du Bénin (Adac), l’événement se veut un moyen de « renforcer la volonté de rencontres artistiques entre les scènes caribéennes et africaines ».

    Il fait suite à plusieurs expositions présentées ces dernières années comme Afriques. Artistes d’hier et d’aujourd’hui (avec la fondation Dapper) ou Black Forest de Pascale Marthine Tayou.

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    Promoteur des arts et des cultures du Bénin, le président béninois Patrice Talon a su, au cours des dernières années, ripoliner l’image du pays avec un habile soft power diplomatique (retour des trésors royaux, installations d’œuvres dans l’espace public, participation programmée à la Biennale de Venise 2024). Selon nos informations, il pourrait faire le déplacement à la Martinique à la mi-décembre.

    De la restitution à la révélation

    Révélation ! est une déclinaison de l’exposition qui s’est tenue au Palais de la Marina, à Cotonou, au Bénin, en février 2022, à l’occasion de la restitution par la France de 26 trésors du royaume d’Abomey.

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    Le nouvel accrochage, qui permettra de présenter une centaine d’œuvres, rassemblera peintures, sculptures, installations, vidéos, dessins… Les artistes les plus connus du Bénin seront de la partie avec des créations signées Romuald Hazoumé, Kifouli Dossou, Dominique Zinkpé, Roméo Mivekannin, Meschac Gaba, Dimitri Fagbohoun, Didier Viodé ou encore Tchif. Ils seront 42.

    Révélation ! sera symbolique à plus d’un titre. L’habitation Clément, rénovée, où la fondation du même nom organise ses expositions, témoigne du passé de la Martinique : exploitation de la canne à sucre, distillation et préparation du rhum, esclavage… Le domaine a été racheté par Yves et Bernard Hayot en 1986. En Martinique, Clément, c’est évidemment le rhum. Mais, derrière ce fameux breuvage, il y a le Groupe Bernard Hayot (GBH), spécialisé dans la distribution (à travers toute les Caraïbes mais aussi en Afrique), l’automobile et l’industrie.

    L’exil de Béhanzin, roi d’Abomey

    Exposer les artistes du Bénin, c’est aussi faire résonner une histoire ancienne et complexe. Après avoir été pourchassé par les Français, le roi d’Abomey, Béhanzin, signait sa reddition le 15 janvier 1894. Quinze jours plus tard, après quelques hésitations, la puissance coloniale décidait de l’exiler en Martinique. Il arriva le 30 mars 1894, avec quatre de ses épouses, trois filles et un fils.

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    Ils furent d’abord logés au Fort Tartenson, puis dans une résidence surveillée sur les hauteurs de Fort-de-France, la villa des Bosquets. Durant son séjour, Béhanzin n’eut de cesse de demander aux autorités coloniales son rapatriement au pays. Malade, il quitta la Martinique en 1906 pour l’Algérie française, où il s’éteignit le 10 décembre 1906.

  • Au Maroc, disparition de Aïcha El Khattabi, fille d’Abdelkrim – Jeune Afrique

    Au Maroc, disparition de Aïcha El Khattabi, fille d’Abdelkrim – Jeune Afrique

    « Si la parole est d’argent, le silence est d’or », affirmait Aïcha El Khattabi dans les colonnes de l’hebdomadaire marocain TelQuel, en 2017. Cette phrase résume à elle seule la discrétion qu’a cultivée tout au long de sa vie la fille cadette du « héros du Rif », symbole de la lutte anticoloniale, feu Abdelkrim El Khattabi (1882-1963). Atteinte de la maladie d’Alzheimer depuis quelques années, Aïcha El Khattabi est décédée ce mercredi 20 septembre à l’âge de 81 ­ans et a été inhumée à Casablanca.

    Mohammed VI et le hirak du Rif

    Sa dernière grande apparition publique et médiatique remonte au 30 juillet 2018, à l’occasion de la Fête du Trône, dans le lourd contexte du « hirak du Rif » (mouvement de contestation populaire dans le nord du Maroc). Quelques semaines plus tôt, les meneurs de ce mouvement, dont Nasser Zefzafi, avaient été condamnés par la justice à des peines allant jusqu’à vingt ans de prison, après un procès fleuve de neuf mois.

    Aïcha El Khattabi, dont le père est toujours considéré comme un héros par les populations rifaines, s’était alors fendue d’un courrier adressé au roi Mohammed VI afin d’exprimer son opposition à des sanctions si sévères. Le souverain avait profité de la Fête du Trône pour la recevoir en audience privée, afin d’échanger avec elle sur les défis et le destin de cette région. Juste avant, le monarque avait prononcé un discours depuis Al Hoceima (Rif) dans lequel il appelait à de vastes réformes socio-économiques – notamment dans cette région –, ainsi qu’à la « stabilité ».

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    Après cette entrevue, Aïcha El Khattabi avait exprimé sa « fierté » d’avoir été reçue par le roi Mohammed VI, qu’elle a toujours trouvé « charmant », « respectueux », rappelant que son père, Abdelkrim El Khattabi, n’avait jamais fondé une république du Rif pour des motifs séparatistes, mais pour lutter contre le colonialisme européen en Afrique du Nord. Elle avait aussi manifesté sa volonté de rapatrier la dépouille de son défunt père – enterré au Caire –, ce qui n’a toujours pas été fait.

    L’exil et le retour au Maroc

    Aïcha El Khattabi est née en 1942 à la Réunion, une île située dans l’océan Indien, où son père, « résistant rifain », a été envoyé en exil par les autorités coloniales françaises avec toute sa famille dès 1926. En 1947, Abdelkrim reçoit l’autorisation de s’installer dans le sud de la France. Sa famille et lui voyagent à bord d’un navire civil français, qui fait escale à Port-Saïd, en Égypte. C’est là que les hommes du roi Farouk en profitent pour exfiltrer les Khattabi et leur offrir l’asile au Caire.

    Aïcha, qui n’a que 5 ans, comprend à ce moment-là le poids politique de son père dans le monde arabe, et au-delà. C’est donc en Égypte qu’elle grandit et passe son baccalauréat au sein du American College for Girls. Entre-temps, sa maison voit défiler les plus grands leaders de la région : le roi Senoussi de Libye, Habib Bourguiba de Tunisie, Ahmed Ben Bella d’Algérie ou encore Mohammed V, roi du Maroc, qui a d’ailleurs demandé à El Khattabi de rentrer au bercail, en vain.

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    En 1964, après le décès de son père et son mariage avec Mustapha Boujibar, fidèle soutien financier de la lutte anticoloniale d’Abdelkrim, Aïcha s’installe au Maroc. Habituée à entretenir des relations cordiales avec Hassan II, elle se liera d’amitié avec une princesse, et fera également la rencontre du prince héritier, futur Mohammed VI. Elle sera également très proche de Mansouri Ben Ali, conseiller royal, originaire du Rif, et considéré comme un « frère » par Abdelkrim, ce qui facilitera grandement le contact avec le Palais, notamment l’entrevue de 2018.

    Conseillère au sein de la Fondation Mohamed-Abdelkrim-El-Khattabi, membre active de la Société musulmane de bienfaisance, elle a également assuré la direction de la clinique Villa Clara, à Casablanca, de 1991 à 2006. Lorsque cet établissement hospitalier a fermé ses portes, après le décès de son époux, elle a fait don de l’ensemble du matériel médical à l’hôpital d’Al Hoceima. Car si l’eau a coulé sous les ponts, Abdelkrim demeure une icône dans le Rif, un « symbole contre l’injustice et l’arbitraire », selon Aïcha El Khattabi, qui n’a jamais cessé de cultiver ses contacts sur place ni de s’engager pour le développement de cette région.

  • Abd al Malik : « La France est toujours cette terre d’accueil qu’elle a été, et elle le sera toujours » – Jeune Afrique

    Abd al Malik : « La France est toujours cette terre d’accueil qu’elle a été, et elle le sera toujours » – Jeune Afrique

    En 2004, Abd al Malik sort à la fois son premier album solo, Le Face à face des cœurs et son premier livre, Qu’Allah bénisse la France, dont l’adaptation au cinéma, dix ans plus tard, est nommée aux César, dans la catégorie de la meilleure première œuvre de fiction. Il mène ainsi de front plusieurs carrières, dans la musique, dans le cinéma et dans la littérature, avec des romans, des essais, des textes poétiques, une pièce de théâtre…

    Éclectique et prolifique, l’auteur compositeur français, né en 1975, triomphe en 2006 avec Gibraltar, lauréat d’une Victoire de la musique et immense succès commercial. Parmi les collaborations prestigieuses de cet album : Gérard Jouannest, le pianiste de Jacques Brel, qui est aussi le mari de Juliette Gréco. La rencontre entre la chanteuse et le chanteur est un choc artistique et humain.

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    Trois ans après la mort de ce monstre sacré de la musique française, celui qui était devenu son ami évoque sa mémoire dans Juliette, avec un « langage de cœur à cœur », selon Abd al Malik, qui l’a accompagnée jusqu’au bout dans sa villa de Ramatuelle. Son onzième livre est un hommage à une femme, et aux femmes. Un texte inclassable entre biographie, récit, roman et poésie, et une ode à l’amour d’un humaniste qui prêche inlassablement le dialogue et le vivre-ensemble dans une société fracturée.

    Jeune Afrique : Comment vous est venue l’idée d’écrire sur Juliette Gréco ?

    Abd Al Malik : Quand Juliette est partie, beaucoup de personnes m’ont conseillé d’écrire sur elle, étant donné notre relation particulière. Mais la tristesse a pris le pas sur l’inspiration. Puis, il y a un ou deux ans, je suis parti à Ramatuelle, où elle vivait. C’était la première fois que j’y allais sans qu’elle y soit. Dans le train du retour, j’ai été saisi par des émotions fortes, comme si elle me visitait. Le soir, je me suis mis à écrire le texte. Retourner dans cet endroit, où l’on avait tellement partagé, où l’on avait eu de si belles discussions, où l’on avait fait de la musique, cela a ravivé quelque chose de puissant et j’ai fini Juliette en trois jours et trois nuits. J’étais comme habité.

    Dans certains chapitres, vous vous mettez dans sa peau. Est-ce que cela a été difficile ?

    Il faut comprendre que notre lien était profond : je la comprenais, elle me comprenait. Parler d’elle à la première personne a été naturel parce que je parle de quelqu’un que je connaissais de cœur à cœur.

    Je vous cite : « Et ce sont bien tes encouragements et ta perpétuelle sollicitude qui ont dessillé mon existence poétique. » Aviez-vous besoin de son regard pour vous assumer comme poète ?

    Je pense qu’on a tous besoin d’un regard bienveillant pour s’assumer en tant qu’être tout court. Ma démarche, mon ambition ont toujours été poétiques. Le fait que Juliette Gréco, la muse de Saint-Germain-des-Prés, l’incarnation de la poésie et de l’inspiration, reconnaisse, aime et encourage mon travail a été une forme d’adoubement qui m’a permis de m’assumer totalement en tant qu’artiste-poète.

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    Je vous cite à nouveau : « Le hip-hop, comme l’existentialisme pour la génération de Juliette, a répondu à nombre de nos questionnements, de notre spleen et de nos frustrations adolescentes. » Pourquoi « le hip-hop est un existentialisme » ?

    Pour faire court, la philosophie existentialiste énonce que l’existence précède l’essence. Dans le hip-hop et dans les quartiers populaires, l’important, ce n’était pas tant qui nous étions mais comment nous vivions : notre rapport aux autres, notre rapport à la police, aux enseignants, à nos parents. En ce sens, c’est un existentialisme. J’évoque « nos frustrations adolescentes » parce qu’avec le temps, on comprend qu’il faut prendre en considération non seulement notre existence mais aussi qui nous sommes, et qu’il faut trouver un équilibre entre les deux.

    J’emploie « racisé » à dessein pour montrer que la langue évolue. Utiliser ce terme polémique, c’est s’inscrire dans un débat philosophique et intellectuel constructif

    Vous rapprochez Juliette Gréco d’une personnalité soufie, Rabi’a al Adawiyya, apparemment à l’opposé d’elle mais liée par le désir éperdu de liberté. Pouvez-nous nous parler de ce qui les rapproche ?

    Ce qui les rapproche, c’est la liberté que l’on est obligé de connecter à l’amour avec un grand A. Ces deux femmes adorent le Dieu amour, qui revêt pour elles des visages différents. Ces idées de liberté et d’amour sont consubstantielles, chacune l’actualise à sa manière, dans son contexte, dans son époque, dans sa culture, mais au fond, ce ne sont que des formes. Qu’importe les époques, le vêtement extérieur, le contexte socio-culturel, ce qui compte, c’est le rapport qu’on a avec ces notions qui enrichissent notre individu.

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    J’ai aussi voulu dire que dans une époque qui a la prétention de parler le langage universel, il faut célébrer des figures qui l’incarnent. Et le langage universel est forcément articulé par la liberté et par l’amour. Juliette Gréco et Rabi’a al Adawiyya, aux deux extrêmes, incarnent ces deux notions et en cela, elles sont liées.

    C’est un livre sur une femme, Juliette Gréco, mais aussi « à toutes les femmes ». Vous définiriez-vous comme féministe ?

    Totalement. Mais je vais au-delà d’une démarche féministe au sens militant. Juliette vise à magnifier les femmes, ce qu’elles sont. Ce n’est pas par flagornerie que j’écris que la femme est supérieure à l’homme. J’ai été élevé par des femmes et j’ai bien vu qu’elles sont plus fortes que les hommes. Je ne parle pas de force physique mais de résilience, d’adaptation, de capacité à s’assumer pleinement et à combattre tous les préjugés.

    En parlant de Juliette Gréco, vous parlez aussi de vous : « Les lointains souvenirs de ma mère nettoyant à grandes eaux (de Javel) notre petit appartement HLM rue des Eyzies […] de ma jeunesse pauvre, délinquante et racisée ; je savais que ma terre ici – qui n’était pourtant pas celle de mes ancêtres – avait accepté, elle, avec joie et depuis longtemps, de me voir fleurir aussi naturellement que n’importe quel Blanc. » Pensez-vous que la France soit encore une terre d’accueil ?

    Bien sûr, la France est toujours cette terre d’accueil qu’elle a été, et je pense qu’elle le sera toujours. Le fait de parler une langue structure l’imaginaire, l’être au monde. La langue française s’est construite en s’enrichissant d’autres langues, d’une littérature qui était d’ici et qui venait d’ailleurs. Elle est habitée par cet ailleurs. L’accueil premier se situe dans la langue, qui invite à l’universel, à l’acceptation de l’autre dans la différence et en cela, les gens de l’écrit, les artistes, les poètes, les poétesses, sont ceux qui disent le plus justement ce qu’est la France, plus que les politiques qui cèdent à des agendas ou à des pensées extrêmes.

    Comprenez-vous que le terme « racisé » fasse débat ?

    Tous les termes méritent d’être débattus. On doit réfléchir, philosopher sur tous les mots. J’emploie « racisé » à dessein pour montrer que la langue évolue. Tout s’origine dans la langue et autant les mots peuvent tuer, autant ils peuvent donner la vie. Utiliser ce terme polémique, c’est s’inscrire dans un débat philosophique et intellectuel constructif.

    J’ai un mantra dans la vie, à la fois en tant qu’artiste et en tant qu’être humain et citoyen : préserver le patrimoine et cultiver la modernité

    Un autre extrait de Juliette : « Je me souviens que dans les nuits chaudes de la cité […] Lorsque les nuits étaient longues et que l’acte délinquant hésitait à se muer en émeute légitime. » Dans votre chanson « Soldat de plomb », vous écriviez aussi « Sans oublier les histoires bêtes/ Un contrôle d’identité. On finit une balle dans la tête […] Alors ça finit en émeute/ En guerre rangée/ CRS casqués contre jeunes en meutes, enragés ». Quel regard portez-vous sur les émeutes consécutives à la mort de Nahel Merzouk à Nanterre ?

    Quand les quartiers populaires brûlent, c’est la France qui brûle. Quand une problématique se pose dans ces quartiers, c’est l’âme de la France qui est touchée. Les quartiers populaires ne sont pas à côté de la République, ils sont dans la République. Les gens qui y habitent ne sont pas une communauté à part, ils font partie de la communauté nationale. Être français, ce n’est ni une couleur de peau ni un sexe ni une religion, c’est le fait d’adhérer à des valeurs, à une philosophie, à un être au monde et en ce sens, il n’y a pas des France, il n’y a qu’une seule France.

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    Des gens mettent de l’huile sur le feu, fracturent. On ne réfléchit plus en termes d’empathie, de dialogue mais en termes d’opposition et de guerre intestine liée à des problématiques identitaires. Il faudrait qu’on puisse débattre frontalement de ces problématiques d’identité et aussi d’éducation, des violences policières sans se dire que c’est s’extraire de ce qu’est la France. Au contraire, on a envie de participer à cette idée républicaine, à cette idée laïque. On doit être capable de comprendre que l’autre, que l’on croit différent de nous, c’est nous. C’est dans cette discussion qui doit pacifier que j’ai envie de m’inscrire.

    À propos de fractures, que pensez-vous du débat sur la liberté né de la polémique sur l’interdiction du port de l’abaya dans les établissement scolaires ?

    Je pense que c’est un problème mineur. Aujourd’hui en France, il y a des enfants harcelés qui se suicident, des classes surchargées dans les quartiers populaires, une éducation dont la qualité baisse chaque année, des jeunes qui ne savent plus lire ou qui lisent mal. Ce sont de vraies problématiques pédagogiques de fond. Je veux me concentrer sur l’état de l’école républicaine comme outil qui permet de transcender sa condition, qui nous permet de nous élever dans l’échelle sociale.

    Dans Cités, une série que vous avez réalisée sur TiKToK, vous filmez une France « arc-en-ciel, unie », pour citer votre chanson « Soldat de plomb ». Est-ce une réalité, un rêve, une utopie ?

    Toute société qui veut créer de l’harmonie se construit sur de l’utopie et des rêves mais l’idée est de rendre concrètes ces utopies et ces rêves. C’est pourquoi dans Cités, je mets en avant des auteurs et autrices qui ont écrit la société idéale dans laquelle on pourrait vivre tous ensemble. Pour moi, c’est une erreur d’attendre du politique, qui est un gestionnaire, qu’il réalise cette société. Étymologiquement, démocratie signifie « le pouvoir du peuple », pas le pouvoir des politiques.

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    Le plus grand danger, c’est de déléguer sa vie, son destin aux politiques, alors qu’en réalité, c’est à nous, femmes, hommes, citoyennes, citoyens, d’avancer ensemble, d’être force de proposition et ensuite, les politiques feront en sorte que les choses se réalisent sur le terrain. Il faut que l’on continue à être des gens responsables, concrets et aussi des rêveurs, des utopistes pour que l’harmonie et la beauté adviennent.

    Au début de votre livre, vous rappelez l’origine arabe du nom Ramatuelle et, par ailleurs, vous racontez un épisode où Juliette Gréco se réfugie chez Hélène Duc, sa professeure de littérature à Bergerac. Est-ce que ce sont des façons de rappeler les origines multiculturelles de la France, et que les périodes sombres de son histoire permet d’avoir un rapport plus apaisé à son identité ?

    J’ai un mantra dans la vie, à la fois en tant qu’artiste et en tant qu’être humain et citoyen : préserver le patrimoine et cultiver la modernité. Je pense que le devoir de mémoire est essentiel pour que les horreurs ne se reproduisent plus. Ce qui est oublié est voué à se reproduire donc c’est important de se souvenir : de la Shoah, de l’esclavagisme, des différentes guerres fratricides dans l’Histoire. Il est fondamental de travailler pour la mémoire mais aussi pour cultiver positivement le vivre-ensemble. On doit marcher sur ces deux jambes si on a envie d’être en paix avec soi, avec les autres et avec le monde.


    Juliette, d’Abd al Malik, éd. Robert Laffont, 133 p., 18

  • L’histoire du Joola en BD, la fable tragique d’un naufrage sénégalais – Jeune Afrique

    L’histoire du Joola en BD, la fable tragique d’un naufrage sénégalais – Jeune Afrique

    13’’12’08N 17’’O5’06W. Ces froides coordonnées GPS indiquent un point de l’Atlantique situé au large de la Gambie. En cet endroit de l’océan, 1 863 personnes ont trouvé la mort, le 26 septembre 2002, à 23 heures. Toutes étaient à bord du Joola, navire assurant la liaison Ziguinchor-Dakar, quand celui-ci s’est retourné, en quelques minutes à peine.

    Parmi ces victimes, il y avait des amis de l’illustrateur suisse d’origine italienne Stefano Boroni. Ce qui explique peut-être, pour partie, l’empathie et la sensibilité qui émanent de la bande dessinée qu’il consacre à cette tragédie, Que la mer vous soit légère, la vraie fable du bateau Joola. Comme l’indique son sous-titre paradoxal, cet album ne raconte pas de manière chronologique les circonstances du naufrage – navire rafistolé, surcharge outrancière, conditions climatiques mal anticipées, secours trop lents – mais prend le parti du conte philosophique.

    Approche poétique

    De l’histoire du navire, Boroni n’évoque que les tous débuts : « Il est né au bord du Rhin, à Germersheim, en Allemagne, et pèse 1 532 tonnes pour 79,50 mètres de long et 12,50 mètres de large. En 1988, après quelques mois passés à l’usine, il a pris sa route pour Rotterdam. Et, en décembre de la même année, il a pris ses fonctions, assurant d’innombrables fois la liaison entre Dakar et Ziguinchor. Sauf le 26 septembre 2002. Ce jour-là, le navire a chaviré. » Plus de 20 ans après le naufrage, le dessinateur ose une approche poétique en rassemblant, au fond de l’eau, quelques passagers qui, comme s’ils pouvaient respirer normalement, commentent en direct le drame qu’ils sont en train de vivre.

    Il y a donc là, discutant dans les profondeurs aquatiques, parmi les déchets qui ne cessent de tomber depuis la surface, le capitaine du Joola, un rebelle casamançais, un colonel sénégalais, un professeur d’université, un jeune fan de football, une grand-mère, une voyante, une jeune actrice… C’est-à-dire un certain nombre de personnages archétypaux représentatifs de la société sénégalaise. Comme le dit en préface Adrien Absolu, auteur en 2020 des Disparus du Joola (JC Lattés) : « La bande dessinée de Stefano Boroni transforme le naufrage en une fable onirique subaquatique, avec sa galerie de personnages formant d’étonnants morphotypes de la population si bigarrée des passagers : le colonel rugueux, le jeune apprenti footballeur la tête pleine de rêves, la commerçante banabana qui ne s’en laisse pas compter. Même ainsi, elle résiste à l’épreuve du fact checking. »

    Cruelles vérités

    Et en effet, des dialogues sous-marins impossibles émanent quelques vérités cruelles. Au rebelle qui déclare : « Vous faites payer toute la Casamance parce que nous refusons votre domination ! », le colonel répond : « Arrête de déconner ! C’est vous qui cherchez le conflit. Si vous étiez Sénégalais avant d’être Casamançais, on n’en serait pas là ! Si le bateau était aussi bondé, c’est parce que vous faites régner la terreur sur les routes. »

    Couverture de la BD “Que la mer vous soit légère, la vraie fable du bateau Joola”, de Stefano Boroni, L’Harmattan BD, Sept Editions, 148 pages, 20 euros. © L’Harmattan Editions

    Qui est responsable ? La question est loin d’être tranchée, mais les coupables semblent plutôt nombreux. « Ce bateau a toujours transporté bien plus que les 550 passagers autorisés, dit le capitaine. Personne ne vient me demander mon avis ! On me met devant le fait accompli ! Vous croyez que je pouvais prendre la liberté de faire débarquer une partie des passagers ? Et le bétail et la cargaison ? C’est l’armée qui exploite le ferry !!! C’est eux qui vendent les billets ! » Réponse du colonel : « L’armée ? C’est trop facile de tout lui mettre sur le dos. Et la billetterie clandestine parallèle, vous en faites quoi ? » Même sur le point de mourir – rappelons qu’ils sont au fond de la mer – les hommes restent incapables d’oublier leurs querelles, si bien que la discussion tourne au pugilat quand le rebelle assène : « Le ferry a été placé sous le contrôle de l’armée pour qu’elle puisse contrôler tout ce qui entre et sort de Casamance. »

    Maslaha et corruption

    Désespérant ? Avec deux baffes bien ajustées qui font voltiger ses propres seins, la commerçante banabana remet le colonel et le rebelle à leur place et le récit prend un tour plus philosophique avec l’arrivée d’une jeune actrice qui se prépare pour jouer l’Antigone de Sophocle. À la belle union des Sénégalais quand il s’agit d’évoquer la victoire des Lions de la Teranga face à l’équipe de France ou la meilleure manière de préparer le yassa, Boroni oppose l’individualisme et la surconsommation du monde moderne.

    Observant un banc de poissons, le professeur d’université se laisse aller à ses pensées : « Si seulement on pouvait prendre sur eux. Apprendre à évoluer en groupe… dans le respect de la collectivité. Le maslaha [concept islamique lié à la recherche du bien] orchestre nos vies. Les ndiaga [surnom sénégalais des petits bus de transport public] sont bondés. Les bateaux réparés au sparadrap, les avions… on en parle même pas. La vitesse avec laquelle le bateau, ce 26 septembre 2002, s’est retourné est proportionnelle à la négligence de son entretien et à la corruption du gouvernement. » Et c’est tout un système qu’il dénonce, la culture du « toujours plus » qui conduit les hommes à détruire l’écosystème, leur fait perdre « le lien avec le sacré et le vivant », nous précipitant tous non vers un mur mais « contre un matelas bien mou » dans lequel « nous nous enfonçons tous ».

    Un peu d’espoir

    Difficile de garder un peu d’espoir quand rassemblés au fond de la mer, les personnages ne peuvent que regarder le Joola renversé flottant encore au ras de la surface, chargé de ses centaines de cadavres. Pourtant Boroni instille délicatement l’idée qu’il est encore possible de s’en tirer : et si l’amour du prochain était la solution ?

    Album en noir et blanc rythmé par les dessins en couleurs d’amis artistes (Benjamin Flao, Rosinski, Jean-Louis Tripp, etc.) s’accompagne d’éléments factuels sur la tragédie : chronologie des faits, témoignage du survivant Patrice Auvray, liste complète des victimes. Il est dédié à « tous les êtres qui dansent autour du Joola ».


    Que la mer vous soit légère, la vraie fable du bateau Joola, de Stefano Boroni, L’Harmattan BD, Sept Editions, 148 pages, 20 euros.

  • « Évocation d’un mémorial à Venise », récit de la mort d’un réfugié érigée en symbole – Jeune Afrique

    « Évocation d’un mémorial à Venise », récit de la mort d’un réfugié érigée en symbole – Jeune Afrique

    Le jeune Pateh Sabally a quitté la Gambie la tête pleine de rêves. La fortune l’a d’abord béni, le laissant triomphant face aux tracas du voyage vers l’Europe. L’infortune l’a ensuite saisi, le conduisant à se jeter dans le grand canal de Venise un jour froid de 2017. Au bout d’un tunnel d’horreur, une brève respiration, et la noyade fatale. Souffle d’un instant et durée de vie éphémère d’un espoir.

    « Fait d’hiver »

    Que sait-on de lui ? De ses aspirations profondes, de sa vie auparavant, de ses amis, de ses chagrins ? La vie du jeune homme est devenue un fait d’hiver, une statistique, une anecdote. Son visage, indistinct dans le flux des milliers d’exilés destinés à accoster en Europe, le regard obscurci par la peur et l’effroi.

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    Face à la déferlante, l’oubli est souvent le parti pris le plus simple, le plus commode. Comment pleurer un mort que l’on ne connaît pas ? Un inconnu, débarrassé d’affect, expurgé de ces ressorts précieux qui tissent les liens de la communauté humaine ? Khalid Lyamlahy, avec une sublime témérité, réussit cette prouesse. Son roman, fort, poétique, emballant, redonne une digne sépulture à Pateh Sabally.

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    Dans un texte ouvragé, l’auteur marocain suit le cours de la vie du jeune homme, remonte le fil jusqu’en Gambie, pose des hypothèses, exploite la palette de la fiction et de l’enquête. Il y singularise un homme, l’écarte du flux massif et indifférencié, et lui redonne ainsi toute son ampleur et sa plénitude, sa place et sa profondeur d’être humain. C’est la force de cette reconstruction minutieuse, qui s’entiche du détail, touche à l’émotion et refait de l’empathie le socle de la vie humaine. Le sac à dos qu’il portait, compagnie chaleureuse et trésor de sa vie, devient le coffre-fort d’une intrigue romanesque riche, qui au gré de l’inspiration de l’auteur recompose les paysages géographiques et psychiques du jeune homme.

    Refus de céder à l’indifférence

    Divisé en trois parties, ingénieusement nommées Les Eaux, Les Cris, Les Mots, le roman interroge le passé et le passif des lieux : la métaphore de l’eau de Venise, romantique jusqu’à la tragédie, les cris et leurs faux échos, peu de choses face à l’indifférence. Des mots pour rassembler les facettes et les bribes de vie du défunt, et pour esquisser les discours qui entourent son plongeon final, circonspects, coupables, incrédules ou bienveillants. Renseignée, documentée, alliant la force de l’évocation poétique à la rigueur de la vraisemblance, cette fiction augmente le réel.

    Elle nous attrait tous à la barre pour voir l’évidence de la banalité du mal que nos bonnes consciences souhaitent évacuer. Avec une élégance dans le doigt pointé, jamais accusateur, le mémorial offert à Pateh Sabally devient un cimetière humaniste de la décence, offert à des milliers de ses frères frappés par la malédiction.

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    À l’heure où Lampedusa voit les flux s’intensifier, et les drames qui en découlent se multiplier, le livre de Khadid Lyamlahy se pose en manifeste urgent. Là où les politiques échouent, sa littérature remet au cœur des enjeux ces transports affectifs qui, l’air de rien, valent et subliment toute la bienveillance d’un monde qui refuse de céder à l’indifférence.


    Évocation d’un mémorial à Venise, de Khalid Lyamlahy, Présence Africaine, 172 p., 12

  • En Algérie, le grand retour des Rencontres cinématographiques de Béjaïa – Jeune Afrique

    En Algérie, le grand retour des Rencontres cinématographiques de Béjaïa – Jeune Afrique

    Les Rencontres cinématographiques de Béjaïa, un festival axé sur les courts-métrages, ont fait leur retour ce week-end, devant un public enthousiaste, après trois ans d’absence en raison de l’épidémie de Covid-19. Plusieurs centaines de passionnés se pressaient lors de l’ouverture, le 23 septembre au soir, dans un cinéma de la ville de Kabylie située à 250 km à l’est d’Alger.

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    Ce festival, c’est « la vitrine du cinéma algérien, aussi bien des jeunes pousses que des réalisateurs confirmés », a déclaré le réalisateur et archiviste Nabil Djedouani. Il s’est dit très heureux de voir une « salle comble », « une telle soif de cinéma » et « l’engouement que ce retour a créé après trois ans d’absence ». Cela « veut aussi dire qu’on a une responsabilité quand on montre des films en Algérie, on a un devoir d’exigence et on a un devoir vis-à-vis du public », a-t-il ajouté.

    Nouvelle génération du cinéma algérien

    Sur les près de 400 films reçus par les organisateurs, un bon nombre de courts-métrages ont été retenus « parce que notre choix était de donner de la visibilité à de jeunes réalisateurs algériens et réalisatrices algériennes, qui font leur premier film ». Les rencontres, selon Nabil Djedouani, âgé de 39 ans, doivent être « l’espace de diffusion de la nouvelle génération du cinéma algérien ». Sur les 33 films algériens présentés aux côtés d’œuvres de 14 autres pays, 18 sont des courts-métrages et dix des documentaires, selon les organisateurs.

    En ouverture du festival qui dure jusqu’au 28 septembre, trois films ont été projetés : ceux de Mouloud Ait Liotna, The House is Burning, We Might as Well Warm Up, de Azedine Kasri, Boussa, et de Nasser Bessalah, Let’s Go Back.

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    « J’aime bien ce festival parce qu’il y a une velléité d’éducation à l’image, c’est vraiment un festival pur, simple et bienveillant », a noté Azedine Kasri, 36 ans.  Ahcène Kraouche, 33 ans, directeur du festival et président de Project’Heurts, une association de promotion du cinéma à Béjaïa, a évoqué une édition « un peu exceptionnelle ». Elle « marque les 20 ans de l’association, une association de bénévoles qui tient depuis vingt ans, c’est un exploit pour nous. »

    (Avec AFP)

  • Ouattara, Kagame, Sassou Nguesso, Tshisekedi… Kehinde Wiley, l’homme qui peignait des chefs d’État – Jeune Afrique

    Ouattara, Kagame, Sassou Nguesso, Tshisekedi… Kehinde Wiley, l’homme qui peignait des chefs d’État – Jeune Afrique

    Kehinde Wiley : courtisan ou bouffon du roi ? Artiste sincère ou homme d’affaires avisé ? Les questions se posent et chacun pourra aller chercher ses propres réponses au musée du quai Branly – Jacques-Chirac (à Paris), où l’artiste africain-américain né à Los Angeles d’un père yoruba expose onze portraits monumentaux de chefs d’État africains (Kehinde Wiley, Dédale du pouvoir, jusqu’au 14 janvier 2024). Une explosion de couleurs et de motifs ultra-instagrammable !

    Portrait d’Alpha Condé, ancien président de la Guinée, par l’artiste Kehinde Wiley (ici au musée du quai Branly, à Paris). © Courtesy Musée du Quai Branly

    Au départ, Barack Obama

    Longtemps tenue secrète, l’idée a germé dans l’esprit du peintre quand Barack Obama s’est lancé dans la course à la Maison-Blanche. « J’ai conçu ce projet quand Barack Obama s’est présenté à la présidentielle de 2008, confie Wiley à la commissaire d’exposition Sarah Ligner. Beaucoup de gens pensent à tort que ces portraits de chefs d’État sont dans la ligne directe de celui que j’ai réalisé pour lui en 2018. Ce n’est pas le cas. L’idée de la série a émergé alors qu’il n’était que candidat, parce que cela a ouvert dans mon imagination la possibilité d’un portrait de président noir. Et quand j’ai commencé à y penser, je me suis demandé où je pourrais trouver ce portrait réel, et non ce que je pensais être à l’époque le fantasme d’un président africain-américain. Alors j’ai commencé à appeler des amis et des contacts qui avaient accès à des chefs d’État africains, afin de voir s’il était possible de rencontrer certains d’entre eux. »

    Nana Akufo-Addo, président du Ghana, par l'artiste Kehinde Wiley, un tableau exposé au musée du quai Branly, à Paris. © Tanguy Beurdeley/Courtesy Musée du Quai Branly

    Nana Akufo-Addo, président du Ghana, par l’artiste Kehinde Wiley, un tableau exposé au musée du quai Branly, à Paris. © Tanguy Beurdeley/Courtesy Musée du Quai Branly

    Et cela a été possible : dans un labyrinthe noir, parfaitement mis en lumière, Wiley présente aujourd’hui les portraits glorieux et chamarrés d’Olusegun Obasanjo (Nigeria), Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire), Paul Kagame (Rwanda), Denis Sassou Nguesso (République du Congo), Alpha Condé (Guinée), Faure Essozimna Gnassingbé (Togo), Sahle-Work Zewde (Éthiopie), Macky Sall (Sénégal), Nana Akufo-Addo (Ghana), Félix Tshisekedi (RDC) et Hery Rajaonarimampianina (Madagascar).

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    Détaillée dans un film, la méthode de travail de Kehinde Wiley a été à peu près la même dans tous les cas : lors d’une séance d’environ une heure et quarante-cinq minutes, l’artiste a rencontré chacun des présidents et leur a montré un catalogue de peintures occidentales réalisées entre le XVIIe et le XIXe siècle et représentant des hommes de pouvoir. Les chefs d’État, venus dans les vêtements de leur choix, pouvaient sélectionner une pose, une manière d’être représentés. Ils disposaient aussi d’accessoires divers apportés par Wiley, à utiliser s’ils le souhaitaient. Ils étaient ensuite photographiés, afin de permettre à l’artiste et à ses nombreux assistants de travailler en studio sur ses peintures.

    Contrairement au portrait d’Obama, la commande qui a rendu Wiley mondialement célèbre, cette série ne relève pas d’une démarche officielle, l’artiste restant maître de ses œuvres. Après la séance de pose, les dirigeants n’ont plus eu leur mot à dire et, si l’on en croit la communication officielle, ils n’ont découvert leur portrait que ce 26 septembre, comme tous les visiteurs du musée du quai Branly.

    Le résultat est, sur le plan esthétique, dans la droite ligne des travaux de Kehinde Wiley. Des portraits ultraréalistes, où le visage et les mains sont particulièrement travaillés. Des portraits ultracolorés qui jouent souvent avec des motifs ornementaux floraux s’échappant de l’arrière-plan pour s’imposer au premier plan. Des portraits imposants, pour la plupart peints en contre-plongée, qui donnent à leur sujet une position de domination. Des portraits esthétisants et exotisants où les motifs exubérants et décoratifs ne sont pas sans rappeler ceux du wax indonésien… ou des papiers peints à l’ancienne. Ainsi le président du Togo, Faure Gnassingbé, comme celui de la République du Congo, Denis Sassou Nguesso, sont-ils presque avalés par les fleurs de l’arrière-plan, véritablement invasives.

    Hery Rajaonarimampianina à cheval

    Portrait de Hery Rajaonarimampianina, président de Madagascar, réalisé par l’artiste Kehinde Wiley – musée du quai Branly, à Paris. © Tanguy Beurdeley/Courtesy Musée du Quai Branly

    Portrait de Hery Rajaonarimampianina, président de Madagascar, réalisé par l’artiste Kehinde Wiley – musée du quai Branly, à Paris. © Tanguy Beurdeley/Courtesy Musée du Quai Branly

    Si la plupart des onze leaders africains portent des costumes à l’occidentale, certains ont choisi des tenues traditionnelles, comme le Ghanéen Nana Akufo-Addo, le Nigérian Olusegun Obasanjo ou l’Éthiopienne Sahle-Work Zewde. Parfois, en arrière-plan, des éléments de décor distinctifs permettent de les situer géographiquement : vertes collines du Rwanda, lagune d’Abidjan, côte atlantique du Sénégal, skyline d’Addis-Abeba… Tous sont représentés selon les codes de la peinture occidentale (et officielle) du pouvoir, en vogue à l’époque des monarchies. L’un des portraits les plus parlants en la matière est la représentation équestre – le président est tout de même en costume – du Malgache Hery Rajaonarimampianina montant un cheval à l’œil écarquillé.

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    « Cette série est un travail de réflexion autour de l’histoire de l’art occidental et des modèles noirs écartés de cette histoire », explique Ligner. Une démarche que l’on retrouve, depuis de nombreuses années, chez d’autres artistes contemporains. Que ce soit chez Yinka Shonibare (Nigeria) qui reprend en sculpture une toile de Fragonard (The Swing) ou chez Omar Victor Diop (Sénégal) qui se photographie en Juan de Pareja, en référence à un tableau de Vélasquez. À cette différence près que Kehinde Wiley s’intéresse ici à des hommes politiques exerçant, ou ayant exercé, la plus haute autorité de la manière que l’on sait.

    Olusegun Obasanjo, ancien président du Nigeria, vu par l'artiste Kehinde Wiley – un portrait exposé au musée du quai Branly, à Paris. © Tanguy Beurdeley/Courtesy Musée du Quai Branly

    Olusegun Obasanjo, ancien président du Nigeria, vu par l’artiste Kehinde Wiley – un portrait exposé au musée du quai Branly, à Paris. © Tanguy Beurdeley/Courtesy Musée du Quai Branly

    « Ce qui intéresse Wiley, c’est la représentation du pouvoir lui-même, poursuit Sarah Ligner. Qui se traduit par le choix de la composition en contre-plongée, le regard d’autorité qui s’impose, la position des mains, les attributs… Il transpose l’histoire du portrait d’apparat et le réinterprète. Ce n’est jamais de la copie. » Dans quelques-unes des peintures, Kehinde Wiley a choisi d’introduire des accessoires parfois anachroniques : une épée sur laquelle s’appuie Obasanjo, une longue-vue que tient Macky Sall, un atlas intitulé « Karte von Ruanda » sur le bureau de Paul Kagame… Ajoutés aux couleurs criardes, aux attitudes, ces éléments font que les toiles frôlent parfois le burlesque. Wiley est-il en train d’encenser ces leaders politiques, ou bien de se moquer d’eux ? Car il peut y avoir quelque chose de ridicule dans l’image d’un président contemporain posant en amiral ou en chevalier à la mode du XVIIIe !

    La commissaire d’exposition invoque tantôt une « ambiguïté » tantôt un « imbroglio ». Dans le court texte distribué en début d’exposition, Kehinde Wiley offre une réponse : « Je ne souhaite pas créer un art qui soit politiquement correct. Ce que je souhaite créer, c’est quelque chose qui soit peut-être un peu dangereux, un peu inconfortable. Les portraits que je peins peuvent être difficiles à comprendre d’un point de vue universel. Chaque visiteur qui viendra ici observera cette série d’un point de vue différent, au sein de ce labyrinthe de compréhension. »

    Pop, kitsch, acidulé

    Portrait du président Macky Sall, par l'artiste Kehinde Wiley, exposé au musée du quai Branly. © Tanguy Beurdeley/Courtesy Musée du Quai Branly

    Portrait du président Macky Sall, par l’artiste Kehinde Wiley, exposé au musée du quai Branly. © Tanguy Beurdeley/Courtesy Musée du Quai Branly

    Le choix des dirigeants, s’il a été facilité par la célébrité acquise par Wiley avec le portrait d’Obama, correspond aux contacts qu’a pu avoir l’artiste, notamment à travers sa galerie parisienne (Templon). « Je n’ai pas insisté pour que mes sujets passent un test de moralité pour faire partie de ce projet, dit-il. Je ne leur ai pas demandé de fournir des gages en matière de respect des droits de l’homme, de processus démocratique ou de nombre de mandats au pouvoir. Ce projet n’est pas fait pour donner des bons points comportementaux. » Et de poursuivre : « Aucun chef d’État n’a vu son portrait. Chacun a sa propre personnalité. Sa propre relation avec son image, son ego. Chacun a son héritage culturel. Mon boulot est de mettre en œuvre le même procédé systématiquement, tout en donnant à chacun l’opportunité d’exprimer sa volonté dans le cadre de ce projet. »

    Dans la série The World Stage, Kehinde Wiley sublimait des anonymes rencontrés un peu partout dans le monde, avec Trickster, il magnifiait des artistes noirs célèbres comme Yinka Shonibare ou Lynette Yadom Boakie, pour Down, il reprenait la figure du gisant avec, essentiellement, de jeunes hommes noirs. Aujourd’hui, il applique la même recette de relecture pop et kitsch d’œuvres occidentales en version acidulée pour les présidents africains. La ligne claire qu’il énonçait jusque-là, à savoir rendre visibilité et dignité aux corps noirs, se fait ici un peu plus floue. Flagorneur malin ou subtil provocateur ? Selon Sarah Ligner, « il s’émancipe du peintre courtisan ». Et si l’un de ses modèles souhaite acheter l’une de ses toiles ? « Il ne s’y opposera pas. »

    La présidente de l'Éthiopie, Sahle-Work Zewde, peinte par l'artiste Kehinde Wiley – une œuvre présentée au musée du quai Branly. © Tanguy Beurdeley/Courtesy Musée du Quai Branly

    La présidente de l’Éthiopie, Sahle-Work Zewde, peinte par l’artiste Kehinde Wiley – une œuvre présentée au musée du quai Branly. © Tanguy Beurdeley/Courtesy Musée du Quai Branly

    Les présidents intéressés devront néanmoins disposer d’un solide pactole. Vendue chez Sotheby’s en 2021, la toile la plus chère de Wiley, The Virgin Martyr St Cecilia, a été adjugée pour 649 200 euros. À défaut de pouvoir s’offrir le portrait de leur président favori, les admirateurs de Kehinde Wiley pourront acquérir quelques produits dérivés en vente sur son site web. Un ballon de basket à 275 dollars, un tote bag Black Rock Senegal à 40 dollars, une planche de skate à 250 dollars et tout un choix de goodies : carnets, vêtements, livres, bougies, bandanas, jeux de cartes, foulards…

  • Amin Maalouf élu secrétaire perpétuel de l’Académie française – Jeune Afrique

    Amin Maalouf élu secrétaire perpétuel de l’Académie française – Jeune Afrique

    Ils étaient deux candidats, Amin Maalouf et Jean-Christophe Rufin. C’est le premier, qui partait favori, qui l’a emporté ce jeudi 28 septembre, devenant secrétaire perpétuel de l’Académie française, poste auquel il succède à Hélène Carrère d’Encausse, décédée le 5 août dernier. Il a été élu au terme d’un scrutin à huis clos, lors duquel les trente-cinq membres de la célèbre institution ont voté.

    Rédacteur en chef de Jeune Afrique

    Le secrétaire perpétuel est celui qui dirige cette institution chargée de défendre et promouvoir la langue française. Seulement 32 personnes ont assuré cette fonction depuis 1634 et le poste était vacant depuis la disparition de l’historienne française d’origine géorgienne, qui l’avait occupé à partir de 1999. Cette dernière n’avait pas à proprement désigné de dauphin, mais le Franco-Libanais Amin Maalouf, 74 ans, Prix Goncourt 1993 pour Le Rocher de Tanios et ancien rédacteur en chef de Jeune Afrique, paraissait son successeur le plus naturel.

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    Très impliqué dans les activités de l’institution où il est entré en 2011, il était le seul candidat jusqu’à la date butoir, lundi 25 septembre, lorsque Jean-Christophe Rufin s’est soudain lancé dans la bataille. L’ancien diplomate de 71 ans, Prix Goncourt 2001 pour Rouge Brésil, avait beaucoup hésité avant de participer à la course. Il avait même laissé croire un temps qu’il y avait renoncé. Mais l’auteur de LAbyssin trouvait frustrant qu’une institution qui se targue d’être de plus en plus moderne passe à côté de cet exercice de démocratie. « C’est la Corée du Nord », déclarait-il, cité samedi par M Le mag, du quotidien Le Monde.

    Élu académicien en 2008, il s’était dit ravi d’accueillir un homme dont il disait : « J’ai parfois l’impression que nos rêves ont fait de nous plus que des amis. Des frères. » « Vous êtes un homme d’une exquise politesse et qui manifeste en toute occasion beaucoup d’égards pour ceux à qui il s’adresse », louait-il Amin Maalouf lors de sa réception à l’Académie, en 2012.

    Au menu, les finances

    Le nouveau secrétaire perpétuel est délesté dans l’immédiat d’une tâche à laquelle Hélène Carrère d’Encausse a consacré beaucoup d’énergie : achever la neuvième édition du Dictionnaire de l’Académie, quasi terminée. Deux autres questions pressantes occuperont Amin Maalouf.

    D’abord, les finances. L’Académie française, tout comme les autres branches de l’Institut de France, est dans une situation économique délicate, elle qui vit du produit de ses actifs, de dons et de legs. En 2021, la Cour des comptes l’exhortait à rénover rapidement la Coupole, située quai de Conti, à Paris, en raison du risque d’incendie. Cela reste à faire. Et la tentative du chancelier de l’Institut, Xavier Darcos, pour que les Académies perdent en autonomie ce qu’elles gagneraient en cohérence de gestion, a fait long feu, face à l’hostilité d’Hélène Carrère d’Encausse.

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    Ensuite, l’attractivité. Rajeunir et féminiser la Compagnie, actuellement composée de vingt-huit hommes et sept femmes, est un objectif de longue date, très difficile à atteindre cependant.

  • James BKS : « J’ai renoué avec mon père, Manu Dibango, au bon moment » – Jeune Afrique

    James BKS : « J’ai renoué avec mon père, Manu Dibango, au bon moment » – Jeune Afrique

    « My brother, my brother », martèle, sourire aux lèvres, le rappeur camerounais Stanley Enow au moment de saluer d’une franche accolade son camarade James BKS, alors de passage dans sa maison d’édition musicale parisienne. Le musicien, qui vit dans la capitale française depuis 2013, attire la sympathie. Mais un lien fraternel unit de toute évidence les deux compatriotes, qui partageaient quelques jours plus tôt la scène du Théâtre du Châtelet. James y défendait son deuxième album, Wolves of Africa, sorti en septembre, et invitait ainsi son camarade à fêter ses dix ans de carrière à ses côtés. C’est que le zig de 40 ans tout ronds aime et sait s’entourer. Angélique Kidjo, Ibrahim Maalouf, Yemi Alade, Jock’air, Carlos Santana… La liste des stars qui l’accompagnent dans ce deuxième volet est longue.

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    « Je suis fan de tous ces artistes, que j’ai beaucoup étudiés. Lorsque je leur propose une musique, je sais qu’ils n’ont plus rien à prouver car, pour la plupart d’entre eux, ce sont des légendes. Il faut donc savoir les challenger et apporter, non pas quelque chose de nouveau, ce serait prétentieux, mais de frais », admet ce mélomane qui offre ici un voyage sonore à travers quatre continents. Preuve de son irrésistible besoin de renouer avec l’essence même du hip-hop. Cette fusion des genres et des territoires est à l’image du parcours personnel de ce fils de parents camerounais ayant quitté le pays pour s’installer à Paris, avant de s’envoler pour les États-Unis dans l’espoir de vivre le rêve américain.

    Snoop Dogg, Piddy Diddy, Ja Rule…

    C’est là-bas que l’ex-beatmaker a travaillé, d’abord à l’ombre des projecteurs, pour quelques poids lourds du rap US (Snoop Dogg, Piddy Diddy, Ja Rule…) , et signé sur le label d’Akon. Il y a encore trois ans pourtant, il était qu’un inconnu du grand public en Europe. Si James a su bien garder son secret, en référence à son acronyme, qui signifie « Best Kept Secret », il n’a plus besoin de se cacher derrière de grands noms pour être légitime. L’autodidacte est désormais son propre chef d’orchestre. D’un naturel autrefois réservé, chantant à l’arrière de la scène, capuche relevée sur la tête, Lee-James Edjouma – son vrai nom – a laissé sa timidité de côté et dévoile enfin son visage. Aujourd’hui décontracté, il ose mêmes quelques touches d’excentricité. Crâne blond platine, solaires polarisées vertes vissées sur le nez, énorme chaînon doré duquel pendouille un masque africain sur un sweat également flanqué d’une carte humaine de l’Afrique… Le message est clair, le chanteur assume sa part d’africanité. Mais pas qu’en apparence.

    Bikutsi, bend skin, soul makossa… Autant de courants musicaux typiquement camerounais qu’il infuse dans son mélange de drill, de pop et de hip-hop. Et qu’il a découverts, d’abord, grâce à sa culture du sample. À l’heure où l’autotune et les tendances afropop dominent les plateformes de streaming, le musicien fait figure d’exception. « C’est une bataille du quotidien. Le jeu des playlists est très contraignant. Car lorsqu’on n’est pas dans les rangs, c’est compliqué pour notre musique de s’exporter et de toucher les gens. J’ai grandi avec de grands producteurs comme Timbaland ou Pharrell Williams, et chacun a réussi à imposer sa patte sans jamais essayer de copier un autre. J’aime à croire que je fais partie d’une génération qui a des choses à dire et à porter, et qui peut rassembler. Mais pour cela, il faut savoir qui on est. »

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    Son identité, James BKS semble l’avoir trouvée. Il ne jure aujourd’hui que par les instruments organiques et une bande de musiciens qui l’accompagne sur scène comme en studio. « Pour reproduire les sons de chez moi, du Cameroun, il faut de vrais instruments, de vraies rythmiques. Parce qu’il y a une chaleur, une cadence et un groove que la machine n’arrivera jamais à reproduire. C’est cette chaleur-là qui définit ma musique. Je ne dénigre pas le synthétique ni la programmation pour autant, car c’est comme ça que j’ai commencé, avoue celui qui a « topliné » le premier titre autotuné de Booba, « King » (2008) en featuring avec Rock City. Mais le mariage des deux donne des choses géniales. »

    Retrouvailles avec papa groove

    Ce retour aux sonorités pures et traditionnelles, il le doit surtout à son papa groove, Manu Dibango. « J’ai eu la chance de renouer avec mon père biologique au bon moment. Quand j’ai réellement commencé à me mettre dans la musique, ma mère m’a révélé qui il était pour moi. Une réalité que j’ai niée pendant plusieurs années, jusqu’à ce que je ne puisse plus reculer. Le fait de voir cette personne à qui je ressemble face à moi a été un feeling que je n’avais jamais ressenti auparavant. Cela a éveillé beaucoup de choses en moi », analyse-t-il. Si des disques de « papa Manu » traînent à la maison lorsqu’il n’est encore qu’un gamin fan de basket-ball, il n’en connaît que les tubes. « J’ai eu la chance d’apprendre son catalogue avec lui, avec ses histoires propres et ses anecdotes. »

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    Ces moments privilégiés avec son paternel l’amènent à le suivre en tournée, de l’Angleterre au Brésil, jusqu’à la mort de Manu Dibango, en 2020. « Le fait de côtoyer ses musiciens a ouvert tellement de choses en moi… C’est là que j’ai découvert tous ces rythmes, résume James qui invitera à son tour son père sur l’un des morceaux de la première partie de Wolves of Africa, sorti en juillet 2022. Ça m’a rendu curieux, surtout à une époque où je me cherchais encore. J’avais un bon CV, mais il manquait de substance. Il me manquait l’Afrique pour me compléter, musicalement et psychologiquement. »

    Construire au Cameroun

    Retour au pays en 2021 pour l’enfant prodige. En pleine cérémonie de clôture de la Coupe d’Afrique des nations, James BKS a l’occasion de jouer certains de ses propres titres et de rendre hommage au répertoire de son père. « C’était mon retour, après plus de trente ans sans y avoir mis les pieds. Ma mère a eu un traumatisme quand elle a quitté le Cameroun et, sans le vouloir, elle l’a transmis à la fratrie. On avait tous les yeux rivés sur les États-Unis. C’est seulement quand je me suis émancipé de mes parents que j’ai compris qu’il y avait des choses positives au Cameroun. En y retournant, j’ai réalisé que c’était le moment pour moi de tisser des liens sur place », glisse-t-il.

    Déjà initiateur de master classes en France, James ambitionne de monter des projets dans l’éducation musicale au Cameroun, et de partager son expérience en tant que producteur et éditeur indépendant, à la tête de la structure Grown Kid, fondée avec sa compagne et associée il y a déjà seize ans. « Je veux m’investir auprès de la jeunesse et des talents, et créer des ponts. C’est aussi ce qui m’a lié avec Idriss Elba, qui a participé au premier album. Lui aussi a reçu cet appel de ses racines, et il monte aujourd’hui un projet de studio de cinéma au Ghana. J’ai la même volonté d’inscrire mon travail correctement et durablement au Cameroun. Tout mon travail se concentre aujourd’hui sur ce retour-là. »