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Après le coup d’Etat, le « Gabon vert » de Lee White dans le viseur de la justice

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L’ancien ministre gabonais des eaux et forêts Lee White, considéré comme très proche du président déchu Ali Bongo Ondimba, a été assigné à résidence, mercredi 4 octobre, par le tribunal de première instance de Libreville dans le cadre d’une plainte déposée par le Syndicat national des professionnels des eaux et forêts (Synapef) contre le directeur des forêts du ministère, Ghislain Moussavou, accusé de « complicité d’exploitation illégale de bois » et de « détournement de fonds ». Celui-ci ainsi que le conseiller financier du ministre, Jean Guy Diouf, et l’inspecteur général des services adjoint du ministère, Ghislain Aimé Boupo, sont soumis à la même sanction dans l’attente de la première audience du procès, dont la date n’a pas été fixée.

Si le directeur des forêts est la cible directe de la requête – car signataire des documents versés à la justice –, c’est bien la figure emblématique de la diplomatie verte mise en avant par le Gabon depuis quinze ans qui est visée. Le scientifique d’origine britannique, promu directeur de l’Agence nationale des parcs nationaux (ANPN) avec l’accession d’Ali Bongo au pouvoir, en 2009, puis ministre au large portefeuille des eaux et forêts, de la mer, de l’environnement, chargé du plan climat et du plan d’affectation des terres en 2019, est en effet considéré par le syndicat comme l’ordonnateur d’un circuit illicite de financement.

« Nous avons déposé notre plainte auprès de la direction des recherches de la gendarmerie en mai dernier sans avoir de réponse. Mais le contexte a changé et nous avons relancé notre action car la justice dispose aujourd’hui de plus de marges de manœuvre pour faire son travail », relate le porte-parole du syndicat, Maurice Steed Mve Akue. L’organisation souhaite mettre au jour l’utilisation d’un compte ouvert par le ministère auprès de la Caisse des dépôts et consignations pour percevoir les amendes infligées à certains opérateurs forestiers et les recettes issues de vente de bois abandonné.

Les sommes qui auraient normalement dû être versées sur le compte du ministère auprès du Trésor public sont estimées à plusieurs centaines de millions de francs CFA depuis 2021 (soit plusieurs centaines de milliers d’euros). Elles auraient notamment servi à financer des « missions du ministre, des associations, des études par des cabinets de consultants étrangers et des actions de communication » et se seraient ainsi trouvées soustraites au budget du ministère, duquel dépendent les rémunérations et les primes des agents. En outre, affirme Maurice Steed Mve Akue, « il n’existe aucune traçabilité ni justificatif pour une partie des dépenses engagées ».

L’attribution, sans appel d’offres et au-delà des superficies réglementaires, de deux permis forestiers à la Zone économique spéciale du Gabon (GSEZ), la société mixte entre l’Etat gabonais et le groupe singapourien Olam, régulièrement incriminé pour sa collusion avec le régime déchu, constitue un autre volet de la plainte. Noureddin Bongo Valentin, le fils d’Ali Bongo, emprisonné et mis en examen au lendemain du coup d’Etat du 30 août pour détournement massif de deniers publics, en était le directeur général adjoint jusqu’à ce qu’il rejoigne la présidence en 2019.

Demande d’inventaire

Quelle que soit l’issue judiciaire, l’affaire reflète les tensions et la défiance qui se sont rapidement installées après l’arrivée de Lee White à la tête du ministère en 2019. Au point de plonger son administration dans une grève quasi ininterrompue jusqu’à son limogeage et justifier aujourd’hui une demande d’inventaire.

Son successeur désigné par le gouvernement de transition, le colonel Maurice Ntossui Allogo, s’est jusqu’à présent gardé de dévoiler ses intentions. Issu de l’état-major de l’armée de terre, le militaire ne cache pas son peu de maîtrise des multiples sujets qu’il aura à traiter. « Il reçoit, écoute et prend des notes », raconte un cadre du ministère. Aucun conseiller n’a été limogé et l’un des hommes clés, Tanguy Gahouma, chargé des dossiers environnementaux au sein de la présidence, est toujours à son poste.

Le nouveau ministre a également été chargé de s’attaquer à l’épineux dossier des conflits homme-faune. Un sujet majeur pour les paysans riverains des parcs nationaux et dont le gouvernement n’avait que récemment pris la mesure en créant un fonds d’indemnisation et en lançant un programme de barrières électriques pour tenir les éléphants à distance des villages et des champs.

Le message, en tout cas, est habile et montre que les critiques récurrentes contre une politique de protection de la nature jugée indifférente aux populations ont été entendues. « On nous a longtemps fait croire que les éléphants du Gabon étaient en danger, mais ils sont en réalité beaucoup trop nombreux, les populations s’en plaignent chaque jour. Leurs champs sont dévastés. L’écologie a été instrumentalisée pour légitimer sur la scène internationale un régime qui ne l’était pas », accuse Franck Ndjimbi, ancien directeur de l’ANPN et pourfendeur des compromissions auxquelles s’est livré, selon lui, le célèbre naturaliste avec le système Bongo.

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Lee White était membre du parti présidentiel, le Parti démocratique gabonais (PDG), et briguait lors du scrutin local organisé en même temps que l’élection présidentielle, le 26 août, un siège dans le département de la Lopé, qui abrite le parc national éponyme, où le chercheur avait entamé ses recherches à la fin des années 1980.

Silence prudent

Installé depuis plus de trente ans au Gabon, dont il a acquis la nationalité, Lee White, âgé de 58 ans, s’est toujours défendu d’instrumentaliser la question écologique à des fins politiques.  « J’ai accepté mon poste [de ministre] sans aucune réserve. C’est un privilège qui me donne le pouvoir d’agir concrètement pour la protection de la nature. Il ne nous reste qu’une décennie pour éviter le pire », déclarait-il au Monde en octobre 2021. Auparavant, il avait dirigé l’ANPN pendant dix ans et contribué à formaliser le projet « Gabon vert », destiné à transformer le pays pétrolier, couvert à près de 90 % de forêts, en pionnier d’un développement écologique en Afrique.

Avec un succès certain auprès des bailleurs de fonds étrangers : en 2019, le Gabon a ainsi été le premier pays à se voir promettre le versement sur dix ans de 150 millions de dollars pour ses efforts de lutte contre la déforestation par l’Initiative pour la forêt d’Afrique centrale (CAFI). Au printemps 2023 à Libreville, Ali Bongo avait coprésidé avec Emmanuel Macron le One Forest Summit, un événement présenté par l’Elysée comme « un moment clé pour l’action climatique et la biodiversité » dans un pays membre – comme la France – de la Coalition de la haute ambition pour la nature et les peuples (HAC). A quelques mois de l’élection présidentielle, l’événement avait été jugé malvenu par l’opposition.

Ces partenaires étrangers se sont murés dans un prudent silence depuis la chute d’Ali Bongo. Seuls les Etats-Unis ont annoncé une suspension partielle de leur aide, sans donner davantage de précisions. Mais en privé, la plupart expliquent qu’ils espèrent pouvoir continuer de travailler avec le Gabon, qu’ils considéraient jusqu’au 30 août comme leur point d’appui le plus solide pour faire avancer l’agenda de la protection des forêts du bassin du Congo.

Ces accords internationaux pourraient cependant faire l’objet d’un réexamen. C’est la demande de certaines organisations de la société civile. « Nous voulons savoir où est allé l’argent de la conservation », réclame ainsi Nicaise Moulombi, président de l’ONG Croissance saine environnement (CSE) et ancien vice-président du Conseil économique, social et environnemental (CESE), en citant l’exemple des fonds obtenus via CAFI. Il est aussi question de l’opération de conversion de dette conclue avec la France en 2008 pour un montant de 50 millions d’euros, au sujet de laquelle des détournements ont été signalés par la société civile sans être poursuivis, selon Nicaise Moulombi.

L’accord de refinancement de la dette extérieure signé mi-août grâce à la garantie des Etats-Unis et destiné à soutenir l’extension des aires marines protégées pour atteindre l’objectif international de 30 %, n’est pas épargné par les critiques. Au-delà de l’affectation des fonds dégagés (163 millions de dollars), c’est l’attribution de ce projet à l’ONG américaine The Nature Conservancy qui est discutée. Comme le dernier exemple d’une politique de protection de la nature trop exclusivement conçue et mise en œuvre par des conservationnistes étrangers.

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