Category: Culture

  • Wilfried N’Sondé : « En Afrique, s’en remettre à l’armée est une solution guidée par la désillusion » – Jeune Afrique

    Wilfried N’Sondé : « En Afrique, s’en remettre à l’armée est une solution guidée par la désillusion » – Jeune Afrique

    L’ACTU VUE PAR – Écrivain aux identités entremêlées, qui se revendique Homo sapiens et Terrien tout en récusant le concept de métissage, Wilfried N’Sondé ressuscite Kimpa Vita dans son nouveau roman, La Reine aux yeux de lune (Robert Laffont). Baptisée Dona Beatriz par les colons portugais qui avaient placé sous leur joug le royaume Kongo, cette jeune héroïne au destin tragique a été à la fois une prophétesse et une figure juvénile de la lutte anticolonialiste au XVIIe siècle.

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    À la veille de la sortie du livre, l’actualité se révélait tristement mouvementée dans cette Afrique que l’écrivain sillonne régulièrement sans toutefois y résider, où deux coups d’État, au Niger puis au Gabon, sont venus s’ajouter à ceux déjà perpétrés au Mali, en Guinée et au Burkina Faso au cours des trois dernières années.

    De cela, et de la place du livre sur le continent, alors qu’à Paris la rentrée littéraire venait de s’ouvrir, Wilfried N’Sondé s’est ouvert à Jeune Afrique.

    Jeune Afrique : Quel déclic vous a conduit à relater, en la romançant, l’épopée tragique de Kimpa Vita ?

    Wilfried N’Sondé : Je connaissais ce personnage depuis longtemps par l’un de mes frères, Jean de Dieu N’Sondé, historien et spécialiste du royaume Kongo. Le déclic date de 2018, après la publication de mon roman Un océan, deux mers, trois continents [Actes Sud], dans lequel je m’emparais déjà d’un personnage masculin issu de ce royaume, Nsaku Ne Vunda, désigné ambassadeur auprès du Pape Paul V.

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    À la même période, à Goma, en RDC, j’ai accompagné de jeunes auteurs de courts-métrages. Et dans les locaux du centre culturel Yole ! Africa trônait un poster de Kimpa Vita. J’ai alors pris conscience que nous étions nombreux à la considérer comme une référence ; et c’est là que j’ai décidé d’en faire le personnage principal d’un prochain roman.

    Comment résumeriez-vous ce qu’a incarné Kimpa Vita, exécutée à l’âge de 22 ans ?

    Elle alliait pensée politique et démarche religieuse. C’était une prophétesse, mais aussi une résistante qui s’opposait à la fois aux agissements des colonisateurs portugais et à ceux des roitelets locaux. Ce qu’avait compris cette jeune femme, qui périt sur le bûcher au début du XVIIIe siècle, me semble toujours d’actualité. Les populations du royaume Kongo souffraient, bien sûr, de la prédation que les Portugais leur infligeaient­, mais aussi de l’attitude de leurs propres dirigeants.

    Que reste-t-il de Kimpa Vita dans les pays – Angola, Gabon et les deux Congos – qui composaient à l’époque un fragment de ce royaume ?

    Chaque 6 juillet, à Mbanza Kongo, l’ancienne capitale royale – qui se trouve aujourd’hui sur le territoire de l’Angola –, on commémore le jour de sa mort. Kimpa Vita est également célébrée jusqu’à Goma, dans le Nord-Kivu, en tant que résistante. On honore même sa mémoire à Dakar, où un festival culturel féministe porte son nom. Un ami, ancien directeur de l’Institut français de Kinshasa, m’a un jour confié que lorsqu’il était en fonction, pas une semaine ne passait sans que quelqu’un ne lui parle de Kimpa Vita. Sur le continent, elle reste présente dans la mémoire collective.

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    Quelles archives avez-vous consultées pour documenter les événements, anciens, que vous relatez dans La Reine aux yeux de lune ?

    Mon frère historien m’a fourni des archives de l’époque, sachant que l’histoire du royaume Kongo a été documentée par des ecclésiastiques portugais ou italiens. Il en va de même pour le rite initiatique qu’est « l’épreuve de la difficulté ». Celui-ci était secret mais un anthropologue néerlandais avait eu l’opportunité d’y assister et l’avait relaté. Ces archives ont alimenté une appropriation romanesque.

    Depuis le mois d’août 2020, une vague de coups d’État militaires a secoué successivement le Mali, la Guinée, le Burkina Faso puis, au cours des dernières semaines, le Niger et le Gabon…

    Force est de constater que le coup d’État demeure une constante dans la vie politique africaine depuis les soi-disant indépendances. La vie politique sur le continent est depuis longtemps polluée par la violence. Quelles en sont les causes, les sources ? Faut-il y voir le reflet de comportements violents, intolérants, au sein même de nos sociétés ?

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    Les coups d’État commis au cours des trois dernières années semblent pourtant bénéficier d’un appui enthousiaste d’une large frange de la population. Que vous inspire cette apparente régression ?

    Je précise d’emblée que je ne réside pas en Afrique, même si je m’y rends souvent. Je préfère donc m’en tenir à des réflexions générales. Ce que j’observe sur le continent, partout où je me déplace ou presque, c’est la faillite des pouvoirs publics : les défaillances du système de santé comme du système scolaire, la prédation pratiquée à grande échelle par des agents de l’État… Dans un tel contexte, tout changement est perçu comme le bienvenu. Or l’armée véhicule l’image de l’ordre face au désordre indescriptible qui règne dans certains pays, avec une généralisation de la corruption, y compris pour se procurer un banal document administratif.

    L’influence grandissante de Wagner m’inspire une immense tristesse. C’est à croire que les populations concernées ont désappris à avoir confiance en elles

    Quand on atteint un certain niveau de désespoir et qu’on se dit que cela peut difficilement être pire, pourquoi ne pas s’en remettre à l’armée face à des régimes présentés comme démocratiques mais qui ne se sont pas montrés suffisamment soucieux du bien-être des populations ? Il ne me semble pas que cela soit une bonne solution car c’est une solution guidée par la désillusion.

    Aux côtés de certains régimes putschistes, on a vu s’amplifier l’influence du groupe russe Wagner. Célébrer la « Russafrique », vue comme libératrice, tout en vouant la « Françafrique » aux gémonies, n’est-ce pas, au fond, perpétuer l’allégeance à un nouveau maître, lui aussi venu d’ailleurs et bardé d’arrière-pensées ?

    Cela m’inspire une immense tristesse. C’est à croire que ces populations ont désappris à avoir confiance en elles et à considérer qu’elles ont la capacité, seules, en s’appuyant sur les ressources dont elles disposent, d’apporter une solution à leurs propres problèmes.

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    La jeunesse africaine ne doit pas rester focalisée sur les histoires de pétrole, de minerais et autres richesses issues du sous-sol. L’histoire de l’humanité démontre que la véritable richesse se loge dans la tête. L’enjeu, c’est notre capacité collective à mettre nos cerveaux à contribution pour surmonter les problèmes qui se posent au continent.

    Qui, selon vous, incarnerait aujourd’hui l’héritage de Kimpa Vita et des autres personnalités africaines qui, au fil des siècles, se sont inscrites dans ses traces ?

    Kimpa Vita n’était pas seulement une résistante. C’est aussi quelqu’un qui a proposé un modèle de société, une utopie. Dans cette lignée, je salue les travaux de Felwine Sarr et d’Achille Mbembé, en particulier leurs Ateliers de la pensée, qui se tiennent à Dakar depuis 2016. C’est une initiative extraordinaire, qui n’est pas figée dans la victimisation mais qui est au contraire porteuse d’une réflexion susceptible de conduire, demain, à des actions.

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    J’apprécie aussi ce qui se passe au Rwanda, où se met en place un véritable modèle de société avec l’appui d’une population bien décidée à faire en sorte que le plus grand nombre puisse mener une vie meilleure. Cette forme de clarté, due en partie à une organisation rigoureuse, s’avère un rempart face à l’arbitraire. On peut s’y tourner vers un policier sans redouter qu’il vous rackette.

    Quelles initiatives permettraient, selon vous, de faciliter la diffusion des livres sur le continent ? Vos romans et ceux des écrivains africains édités en Europe ou en Amérique du Nord y sont-ils accessibles ?

    À Goma ou à Kinshasa, par exemple, je sais que mes livres sont étudiés dans certains lycées. Il faut rappeler que de nombreux ouvrages peuvent être achetés depuis le continent, au format numérique, à des prix très abordables. Pour que les livres soient diffusés en Afrique, encore faut-il que des lecteurs, sur place, les achètent ; et donc qu’on en finisse avec le cliché qui présente le livre comme un produit culturel trop onéreux pour les Africains. Personne ne tient ce discours concernant les téléphones portables ou les mèches avec lesquelles les femmes se font tresser !

    L’identité d’un être humain est fondamentalement composite. Plutôt que de racines, je préfère parler d’héritages dont nous sommes le réceptacle

    Non seulement un livre ne coûte pas si cher, mais il dure. Aujourd’hui, mes enfants, adultes, lisent des livres que j’avais moi-même achetés quand j’étais encore au lycée.

    Combien d’Africains ont des proches qui font régulièrement la navette entre le continent et des pays où ils peuvent acheter des livres d’occasion ou au format poche ? Ma propre mère, qui envoie des colis au Congo depuis cinquante ans, n’y a jamais fourré un seul livre. Il faut d’abord mesurer l’intérêt que représente un livre avant de faire l’effort d’aller vers lui.

    L’obtention du prix Goncourt par le Sénégalais Mohamed Mbougar Sarr, en 2021, a-t-il ouvert, symboliquement, une nouvelle ère pour les écrivains africains ?

    Mohamed Mbougar Sarr est à la fois intelligent, travailleur et passionné par la littérature. Et avec son excellent éditeur, Philippe Rey, ils ont montré que le travail est toujours récompensé. Il nous faut sortir de la victimisation, de la revendication, et nous mettre au travail.

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    Pour le reste, Mohamed arrive après une longue série d’écrivains africains déjà primés, comme Wole Soyinka, Alain Mabanckou, Ahmadou Kourouma…

    Entre le Congo-Brazzaville où vous êtes né, l’Allemagne où vous avez longtemps vécu, la France où vous avez fait vos études et résidez aujourd’hui, et les différentes parties du monde que vous parcourez en tant qu’écrivain, comment définiriez-vous le métissage culturel dont vous êtes le fruit ?

    Je récuse catégoriquement le concept de métissage, qui signifierait qu’il y a eu, à un moment donné, une rencontre entre deux entités fondamentalement distinctes. Or les identités monolithiques n’existent pas. Le royaume du Kongo, que j’évoque dans mon roman, est un creuset d’identités multiples, elles-mêmes en contact pendant cinq cents ans avec les Portugais puis avec les Français. Comment faire le tri ?

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    Comme les généticiens l’ont démontré, l’identité d’un être humain est fondamentalement composite. Plutôt que de racines, je préfère parler d’héritages dont nous sommes le réceptacle. Du point de vue de la génétique, nous portons encore les traces d’autres formes d’hominidés.

    Ce que j’ai appris, c’est que je suis avant tout un Terrien. L’espace de mon existence, c’est cette planète. En tant qu’Homo sapiens, j’en suis un habitant au même titre que l’arbre, le cafard, le lion ou le poisson. Quant aux questions de nationalité, de culture, de religion ou de couleur de peau, elles ne me paraissent pas essentielles. Que je me trouve à Berlin, à Lyon, à Brazza, à Dakar ou à Mexico-City, je m’y sens chez moi puisque je peux y exister. Le métissage, au fond, on s’en fout. Sur cette planète, nous sommes tous chez nous.

  • Majouja, le meilleur de la cuisine algérienne à deux pas de l’Opéra de Paris – Jeune Afrique

    Majouja, le meilleur de la cuisine algérienne à deux pas de l’Opéra de Paris – Jeune Afrique

    La longue foule patientant devant le restaurant témoigne du succès de celui-ci. La queue ne désemplit pas, malgré les orages qui s’abattent sur Paris. Dès que l’on met les pieds à l’intérieur, on comprend pourquoi : une délicieuse odeur caresse nos narines. Et le ramage est à la hauteur du plumage, nos papilles vont bientôt découvrir des saveurs exquises. Ce lieu, c’est Majouja, à quelques centaines de mètres de l’Opéra Garnier. Selon l’expression de Katia Barek, sa patronne, « la colonne vertébrale de notre cuisine est kabyle, le corps est algérien ».

    Tchoutchouka et tikourbabine

    Ainsi, au menu, des plats venus de toute l’Algérie. Chacun aura le plaisir de retrouver son mets préféré, de découvrir des spécialités culinaires d’autres régions ou de s’initier à la cuisine algérienne. À la carte, hmiss, humous zitouni, zaalouk, brick, chorba, couscous, rechta, amekfoul, aghroum farci ou aux herbes, matlouh, mhadjeb… Et, en supplément le samedi, de la tchoutchouka et du tikourbabine en alternance.

    Au dessert, on se régale de makrout, tcharek, baklawa, kalb el louz, bradj, sfenj… Entrée, plats, desserts ont un point commun : préparés par Nora Sadki, ils sont délicieux. L’expérimentée cheffe cuisinière nous raconte une anecdote : « Il y a quelques semaines, un homme a pleuré en mangeant du tikourbabine, qui lui rappelait celui de sa grand-mère décédée. C’est impressionnant de constater comment la nourriture peut faire resurgir des souvenirs… » Elle reste toutefois modeste : « Je suis consciente que mes plats n’auront jamais le goût de ceux de l’enfance. »

    Cantine populaire

    En seulement deux ans et demi, Majouja est devenu un incontournable du quartier de l’Opéra à Paris. Katia Barek nous en explique le concept : « J’aime bien présenter Majouja non pas comme un restaurant, mais comme une cantine. Nous ouvrons tous les jours du mardi au vendredi de 12 heures à 15 heures et le samedi de 12 heures à 16 h 30. Nous faisons de la vente à emporter et de la livraison. En semaine, je m’adresse à la clientèle de bureau du 9e arrondissement de Paris, où l’on trouve des banques, des assurances, des agences de communication, des start-up et des résidents. Le samedi, il y a plus de clients d’origine algérienne et du Maghreb. Je suis fière du mélange de population que l’on a ici tous les jours. Il est à mon image, je suis à la fois une bobo parisienne assumée et très attachée à mon village en Kabylie. »

    « La cuisine de ma mère »

    Son chemin vers la restauration n’était pas tout tracé. Dans sa vie professionnelle précédente, Katia Barek était responsable de la communication : « J’avais fait toute ma carrière chez BNP Paribas, depuis mon stage de fin d’études. J’en suis partie à 39 ans. » Malgré les avantages du salariat dans une grande entreprise, elle a des envies d’ailleurs : « J’ai toujours dit que je ne fêterais pas mon pot de départ à la retraite chez BNP Paribas. Je souhaitais me lancer dans l’entreprenariat et voulais que ma nouvelle activité ait un lien avec mes origines. Je ne savais pas que ce serait dans la restauration. » L’idée de Majouja naît d’un manque : « Quand on déjeunait avec les équipes, on mangeait chinois, japonais, des burgers, des pizzas mais jamais de la cuisine algérienne. Je me suis dit que si je devais ouvrir un lieu de partage et de découverte de la cuisine de ma mère, ce serait dans un quartier parisien de bureau. »

    Des parts de kalb el louz du restaurant Majouja, à Paris. © DR

    La famille est un élément central de la vie personnelle de Katia Barek. Elle est aussi à l’origine de son attrait pour la cuisine : « J’ai grandi avec un papa, paix à son âme, dans la restauration. Il a été carreleur, plongeur, cuisinier… Il était passionné, je l’ai toujours vu cuisiner, laver la vaisselle, mais il n’a pas réussi à ouvrir sa propre affaire car il est parti à 50 ans. Ma mère, au foyer, cuisinait à la maison. Tout ce qu’on retrouve, c’est ce qu’elle préparait, avec en plus des spécialités d’autres régions algériennes. » C’est d’ailleurs en l’honneur de sa mère que le restaurant a été baptisé ainsi : « Son prénom est Khedoudja. Enfant, ma nièce appelait sa grand-mère “Majouja”. Depuis quinze ans, toute la famille l’a imitée. Quand j’ai annoncé à mes deux sœurs que j’allais quitter la communication pour ouvrir un restaurant, elles ont tout de suite deviné que je lui donnerais ce nom. C’était une évidence. Je suis fière d’avoir donné le surnom de ma mère à mon restaurant et d’avoir fait ce que mon père aurait aimé faire s’il était encore là. »

    Pandémie et propriétaire compréhensif

    Flattée de cet hommage, sa mère a tout de même eu peur quand sa fille lui a annoncé son changement de carrière. « Elle m’a dit cette phrase en kabyle dont je me souviens encore : “Tu vas attendre que le client entre.” Maintenant, quand elle vient au restaurant, elle me demande si je ne suis pas trop fatiguée ! » Les craintes maternelles ont bien failli se justifier dans le contexte très particulier de la pandémie de Covid-19 : « Nous devions ouvrir en novembre 2020, mais à cause du confinement, cela ne s’est produit qu’en mars 2021. Quand, après vingt ans dans la banque, vous lancez votre affaire et que vous commencez juste au moment d’un événement sans précédent dans l’histoire de la restauration, vous vous dites que vous avez la poisse ! »

    Heureusement, une bonne étoile flotte au-dessus du destin de Majouja : « Mon propriétaire a été très compréhensif et nous a accordé un délai. » Et Katia Barek a transformé le coup du sort en épreuve à surmonter : « Nous nous sommes adaptés. Quand nous avons ouvert, nous ne faisions que du click and collect et de la livraison. Cela nous a permis de nous roder et de faire des ajustements dans la carte pendant trois mois. Nous étions prêts quand les premiers clients se sont assis à nos tables, en juin. »

    Noyés sous l’affluence

    Quand on lui demande quels sont ses projets, Katia Barek est catégorique : « Je ne veux pas créer une chaîne. Je ne veux pas sacrifier la qualité au profit du quantitatif. Si j’ouvre un autre restaurant, ce ne sera pas pour faire exactement la même chose. » Elle se souvient d’une expérience récente : « Beaucoup de monde disait que c’était dommage de n’ouvrir que le midi. Nous avons cédé à la demande générale et nous avons étendu notre service à certains soirs. Mais nous avons été noyés sous l’affluence et nous sommes revenus au concept de base, celui de la cantine ouverte pour la pause déjeuner. »

    Une exception : « Pendant le Ramadan, nous servons tous les soirs, sur réservation. L’année dernière, nous avons été complets quinze jours avant le début du mois de jeûne. » Et la cheffe d’entreprise satisfaite de conclure : « La plus belle reconnaissance, c’est que les clients de Majouja reviennent. »

    On veut bien la croire, car après cette succulente dégustation, nous retournerons assurément goûter les autres plats de la carte, dont notre tikourbabine de Proust.


    Majouja, restaurant, 43 rue Laffitte, 75009 Paris

  • Séismes, épidémies, famines… Ces fléaux qui ont ravagé le Maghreb – Jeune Afrique

    Séismes, épidémies, famines… Ces fléaux qui ont ravagé le Maghreb – Jeune Afrique

    Séisme dévastateur au Maroc. Inondation meurtrière en Libye. En moins d’une semaine, le Maghreb a été frappé de plein fouet par des catastrophes naturelles. Comme toujours, les populations, et surtout les médias, ont convoqué le concept galvaudé de « sidération », parlant de catastrophes survenues à la surprise générale et soulignant l’absence totale de signes annonciateurs.

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    Tout cela est vrai… et faux à la fois. L’histoire, mais aussi les anciens, font un tout autre récit, pour peu que l’on prenne la peine de s’y arrêter. Le Maghreb ne se résume pas, ne s’est jamais résumé à des plages dorées, à un ciel azur et à des plaines fertiles. Tout au long des siècles, les malheurs qui l’ont frappé étaient légion. Sécheresse, épidémies, invasions de sauterelles, famines et séismes ont ponctué le quotidien des Marocains, des Algériens, des Tunisiens ou des Libyens.

    Une zone sismique active

    Le terrible séisme qui a frappé le Maroc début septembre, par exemple, a de nombreux précédents. Pas de tergiversation géologique possible : quand ils parlent du Maghreb, les sismologues évoquent une « sismicité modérée à forte ». La raison est à chercher du côté de la lithosphère : la plaque africaine et la plaque eurasienne se rapprochent de plusieurs millimètres par an, la première plongeant sous la seconde. Et le Maghreb se situe juste à la limite de ces deux plaques. Le Maroc, lui, est à cheval sur celles-ci. Ce qui explique la violence du séisme d’Al Haouz, ou celui d’Al Hoceima, dans le nord du royaume, le 24 février 2004.

    Et ces tremblements de terre meurtriers ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Avec les plaques toujours en mouvement, les sismographes s’affolent : on recense pas moins de cinquante mouvements par mois sur une ligne allant d’Agadir à Gabès. Ils sont bien sûr imperceptibles pour le quidam. Aussi, tout naturellement, la mémoire collective ne retient-elle que les séismes meurtriers et destructeurs. La liste est longue. Sfax, en Tunisie, en septembre 1993, Chlef (ex-Al Asnam) en Algérie, en 1954 et en 1980, Boumerdès, également en Algérie, en 2003. Ces tremblements de terre dévastateurs sont toujours d’une magnitude supérieure à 6,5 sur l’échelle de Richter.

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    Le récent séisme d’Al Haouz n’est d’ailleurs pas le plus puissant que le Maroc ait connu, quoi que disent certains médias. Celui du 28 février 1969 avait en effet atteint 7,8 sur l’échelle de Richter, contre 6,8 pour Al Haouz . L’épicentre de ce tristement célèbre « 1969 Portugal Earthquake » se situait en plein océan Atlantique, et c’est une réplique survenue 24 heures plus tard – d’une intensité de 5,8 – qui avait dévasté la ville d’Agadir, faisant environ 15 000 morts.

    Aussi loin que l’on remonte, le Portugal et le Maroc semblent d’ailleurs associés dans cette danse tellurique macabre. Le mégaséisme du 1er novembre 1755 toucha ainsi toute la péninsule Ibérique et le Maghreb. Les chroniques – et Voltaire lui-même, dans son Candide paru en 1761 et dans son Poème sur le désastre de Lisbonne – évoquent le « séisme de Lisbonne », qui coûta la vie à au moins 50 000 personnes. 80 % de la capitale portugaise fut réduite en poussière – ou en cendres – par un gigantesque incendie, accompagné d’un tsunami.

    « Certaines montagnes se disloquèrent »

    Ce que certains ont oublié, c’est que la catastrophe de 1755 frappa aussi très durement le Maroc. De Tanger à Santa-Cruz (Agadir), le littoral fut balayé par des vagues gigantesques. Dans l’arrière-pays, Fès et Meknès payèrent un lourd tribut. « Le samedi 26 moharrem 1169 H, à l’aube, la terre trembla et s’inclina à l’Est et à l’Ouest pendant 5 minutes, et on entendit un fracas comparable à celui des meules de moulin […]. Les sources devinrent troubles et il y eut un arrêt dans le courant de certaine rivières […]. Les moellons des maisons furent réduits en poussières […]. On apprit aussi que certaines montagnes se disloquèrent, dont une près de Sidi Bouchta, dans l’Ouergha », rapporte l’historien marocain Ibn al-Tayyib al-Qadiri, témoin direct de la catastrophe.

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    Quant au tsunami, un autre historien marocain, Al-Naciri, raconte que « les eaux de l’océan s’élevèrent au-dessus de la muraille d’El Jadida et se répandirent dans la ville. Un grand nombre de poissons restèrent dans la ville quand la mer fut rentrée dans ses limites habituelles. La mer déborda aussi sur les terrains de pâture et de culture, ainsi que sur les redoutes, qu’elle rasa complètement ». Et l’histoire de la région regorge d’événements comparables : Rabat-Salé (1755), Marrakech (1719), Fès (1522, 1624, 1755), Meknès (1755), Agadir (1731, 1761). Ou, en Algérie, Alger (1365, 1716), Blida (1601, 1716, 1760, 1770, 1825…), Biskra (1869), etc.

    Difficile de se faire une idée exacte du nombre de victimes. En tout cas, les écrits témoignent d’une désolation profonde, les citadins fuyant généralement les médinas pour la campagne. « Il a fallu l’intervention du gouverneur de la ville qui, sur le conseil du cadi, invita la population à revenir dans ses murs, sans quoi Meknès serait demeurée déserte », assure de nouveau Al-Qadiri. L’idée de gestion d’après-crise n’a donc rien de nouveau, même si à ces époques lointaine, elle semble s’être faite à la va-vite : les cadavres étaient inhumés dans des fosses communes par peur des épidémies, très fréquentes alors et omniprésentes dans l’esprit des populations et des autorités.

    Le trio épidémie-sécheresse-famine

    Le terrible séisme de 1755 avait d’ailleurs été précédé de deux périodes épidémiques sévères entre 1742 et 1744, puis entre 1747 et 1751. Quelques décennies plus tard, la peste frappa à nouveau, en 1784, puis en 1798. Paralysant la société, elle fut suivie d’effroyables disettes et d’une surmortalité qui toucha toutes les tranches d’âge. En 1798, la maladie fut tellement mortifère que le Maroc accepta la mise en place d’un conseil sanitaire européen installé à Tanger, depuis peu capitale diplomatique.

    Au XIXe siècle, l’Europe enregistra les premières avancées vaccinales et hygiéniques, mais au Maghreb, on vivait encore sous le règne des « quatre T » (teigne, trachome, tuberculose et typhus). Auxquelles, pour ne rien arranger, vinrent s’ajouter les « trois S » (sauterelles, sécheresse et sirocco). En 1818 et en 1878, deux terribles épidémies de choléra décimèrent les populations maghrébines. Souvent, ce sont les caravanes de pèlerinage à la Mecque – sillonnant l’Afrique du Nord, de Fès à Alexandrie via Tlemcen – qui étaient les vecteurs de transmission.

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    Dans ces périodes de crise, la famine venait généralement se greffer au choléra. Les greniers fortifiés étaient vides, le prix des grains flambait et la sécheresse ajoutait l’insulte à l’injure. Les populations mouraient d’inanition. Les ruraux fuyaient alors vers les villes, aggravant la situation sanitaire et alimentaire. C’est ce qui incita en 1879 le régent, Ba Ahmed, à créer une marine marchande pour pouvoir transporter rapidement les céréales vers les zones touchées. Plus tard dans le siècle, le développement de la navigation à vapeur et les quarantaines imposées aux navires dans les ports atténueront considérablement l’impact épidémique.

    Au tournant du XIXe et du XXe siècles, c’est la syphilis qui fit à son tour des ravages. En 1920, on estimait que 75 % des Maghrébins en étaient porteurs. Dans ces années-là, toutefois, les épidémies marquent le pas. L’assistance médicale indigène mise en place par les Français sensibilise les populations et mène un travail prophylactique de fond. Malgré certaines réticences, on vaccine à tour de bras.

    Le contrecoup des guerres mondiales

    Un effort réel mais qui ralentit lors des deux guerres mondiales. En 1914-1918 comme en 1939-1945, la priorité allait aux zones de combat, au détriment de l’arrière. Au Maghreb, cela eut de lourdes conséquences sociales. La pénurie du personnel médical entraîna une recrudescence du typhus et de la peste, comme à Casablanca ou à Alger en 1945. Les produits vivriers se raréfièrent également. Le rationnement engendra la malnutrition et la sous-nutrition. Les Américains fournirent des vivres, mais on était bien en-deçà des calories requises. La famine revint. 1945 est « l’année des herbes » : le Rif et la Kabylie ont faim, on se nourrit de racines et de bulbes déterrées.

    Face à toutes ces catastrophes naturelles, les populations allaient souvent chercher des réponses dans la foi. On voyait dans les fléaux qui frappaient l’Afrique du Nord des signes divins, des cataclysmes qui annonçaient la fin des temps. N’est-il pas écrit dans le Coran que « lorsque la terre entrera dans sa dernière convulsion et mettra à nu ses entrailles, l’Homme dira “Qu’a-t-elle ?” Ce jour-là, les hommes accourront de tous côtés pour être mis en face de leurs œuvres » ? D’autres encore rappelaient que la Terre repose sur la corne d’un taureau : le basculement d’une corne à l’autre la fait bouger.

    Des réactions qui prêtent aujourd’hui à sourire. Encore que, à propos du séisme d’Al Haouz, le parti islamiste marocain PJD n’a-t-il pas cru bon d’expliquer que « ce qui est arrivé est peut-être le résultat de nos péchés » ? Finalement, rien ne change vraiment. À l’irrationalité supposée de la nature vient toujours répondre l’irrationalité de certains hommes.

  • Au Maroc, Dakhla, de Saint-Exupéry au kitesurf – Jeune Afrique

    Au Maroc, Dakhla, de Saint-Exupéry au kitesurf – Jeune Afrique

    Avant d’être le spot privilégié des kitesurfeurs pour voler au-dessus de l’eau, la lagune de Dakhla, nichée entre l’océan Atlantique et le désert du Sahara, a été une escale de choix pour les mythiques pilotes de la compagnie Latécoère, puis de l’Aéropostale au cours des années 1920. À l’époque, la ville est un port sous protectorat espagnol et s’appelle Villa Cisneros. Sur place, un aérodrome de fortune, un fort militaire, une poignée de bâtiments, une garnison de militaires espagnols, ainsi que des tribus bédouines ou touaregs dont le système matriarcal est à ce jour ancré dans les mœurs. Mais aussi le phare d’Arcipèse, simple tourelle d’environ 10 mètres de haut, qui a démontré toute son utilité.

    Antoine de Saint-Exupéry en 1926, lorsqu’il travaillait pour la compagnie Latécoère, la future Aéropostale. © NAMUR-LALANCE/SIPA

    Le phare dans la nuit de Saint-Exupéry

    C’est celui-là même qui sauva in extremis Antoine de Saint-Exupéry d’une mort certaine. Devenu pilote au cours de son service militaire en 1922, le jeune homme issu de la noblesse française est engagé par la compagnie Latécoère (future Aéropostale) en 1926 afin de transporter le courrier de Toulouse à Dakar, au Sénégal. Le Maroc compte alors trois escales : Casablanca, Cap Juby (Tarfaya) et Villa Cisneros (Dakhla). Un soir, le père du Petit Prince s’envole donc vers le Sud honorer sa mission. Mais tout au long de la nuit, les relevés radiogéniques sont faussés. Saint-Ex et son radio, Néri, croient longer la côte marocaine, ils piquent en réalité sur l’Océan.

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    L’aviateur redresse son avion mais il vole à l’aveuglette, et va alors d’étoile en étoile, seuls points distincts à l’horizon. Jusqu’à ce qu’il aperçoive enfin le phare de Cisneros et parvienne dès lors à maintenir son cap. L’auteur, qui n’aura de cesse de conter la fabuleuse histoire de l’Aéropostale dans ses écrits, relate cette aventure dans Terre des hommes, publié en 1939. Un ouvrage où il rend hommage à ses amis aviateurs Jean Mermoz et Henri Guillaumet, deux autres légendes de l’Aéropostale et deux habitués de l’escale Dakhla, où ils se posaient pour faire le plein de carburant et réparer les avaries. Car, à l’époque, chaque envolée vers Dakar était un chemin vers la mort.

    Bières tièdes et dîners nocturnes

    Dans les années 1920, Joseph Kessel, pilote pendant la Grande Guerre, romancier, reporter et aventurier, va suivre lui aussi la route aérienne de Toulouse à Dakar. Il vole avec un pionnier de la ligne, Émile Lécrivain, dit « Mimile », qui trouvera d’ailleurs la mort au cours de l’un de ces voyages. Alors que le désert et l’eau s’étendent à perte de vue, le coucou est pris dans une tempête de sable, à laquelle les deux hommes réchappent miraculeusement avant de se poser à Villa Cisneros.

    Au Musée Antoine-de-Saint-Exupéry, à Tarfaya, dans la région Laâyoune-Sakiet El Hamra. © FADEL SENNA/AFP

    Au Musée Antoine-de-Saint-Exupéry, à Tarfaya, dans la région Laâyoune-Sakiet El Hamra. © FADEL SENNA/AFP

    Dans son livre Vent de sable, publié en 1929, Kessel fait part de son enchantement pour cette ville où l’on boit des bières tièdes dans une ambiance chaleureuse. L’auteur écrit : « En Espagne, on dîne tard. Cette habitude était strictement observée à la Villa Cisneros. » Un rythme de vie immuable puisque aujourd’hui encore, Dakhla s’éveille lorsque le soleil commence à se coucher.

    Sur les traces de Jiménez de Cisneros

    Cisneros est un nom qui, pendant un temps, a été donné à Dakhla en l’honneur du moine franciscain espagnol Jiménez de Cisneros (1436-1517), qui deviendra cardinal et sera l’un des plus proches conseillers d’Isabelle la Catholique. Car, en réalité, la première colonisation espagnole de la lagune remonte à 1502 à la faveur d’une bulle papale. En 1505, l’armée du cardinal lance ses premières expéditions contre Oran, en Algérie, avant de s’emparer de la ville en 1509. Mais c’est en 1884 que la place est réellement colonisée par le capitaine d’infanterie Emilio Bonelli, qui décide de la baptiser Villa Cisneros. À la suite de quoi, le royaume d’Espagne déclare un protectorat sur la côte africaine, environ 500 km de littoral faisant face aux Îles Canaries.

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    Jusqu’en 1958, avant Laâyoune, Villa Cisneros en est la capitale. Sur place, les Espagnols construisent des pistes d’atterrissage, aménagent un port et fondent un réseau militaire. Il faudra attendre 1954 et les plans d’urbanisation de Villa Cisneros et Laâyoune pour que soit érigée une église catholique, toujours en activité. Puis 1960, pour que le protectorat mène à une politique de sédentarisation des Reguibat (l’une des plus grandes tribus du Sahara) et aux premières explorations pétrolières, qui ne donnent rien.

    Dans le même temps, Villa Cisneros devient aussi une escale pour les vols à destination de l’Amérique latine. Hormis le rythme de vie nocturne et quelques plaques d’égouts frappés du sceau Villa Cisneros, il ne reste rien de ces vestiges espagnols. Même le fort militaire a été détruit en 2004 par les autorités marocaines, au grand dam de l’Unesco.

  • Cinq podcasts gastro, philo, sexo, écolo… à découvrir – Jeune Afrique

    Cinq podcasts gastro, philo, sexo, écolo… à découvrir – Jeune Afrique

    En 2021, le nombre d’auditeurs de podcasts dans le monde s’élevait à 383,7 millions d’internautes. Ce chiffre devrait atteindre 504,9 millions d’ici la fin de l’année 2024. Ce format sans frontières géographiques et temporelles offre des possibilités inouïes pour explorer des thèmes (sexe, sexisme, racisme, classisme…) moins visibles dans les médias traditionnels, et donner la parole à celles et ceux que l’on a également moins l’habitude d’entendre. En Afrique aussi, le podcasting a su trouver son public. Et les acteurs du continent ou de la diaspora ne manquent pas. Récits de l’intime, reportages, débats, conversations, enquêtes… Notre sélection de cinq podcasts, toutes thématiques confondues, à découvrir.

    « Jins », le podcast sexualité et spiritualité

    Dans le cadre de l’exposition “Habibi, les révolutions de l’amour”, l’Institut du monde arabe et JINS Podcast se sont associés pour enregistrer cinq épisodes de la seconde saison de JINS en direct et en public : les Live JINS. © Alice Sidoli/Institut du Monde Arabe

    Lancé en 2021, Jins, qui signifie « sexe » en arabe, est sûrement le seul podcast de l’espace francophone à traiter de questions liées à l’amour, au genre et aux sexualités des personnes arabes et/ou musulmanes de France. C’est à Jamal, scénariste, réalisateur et podcasteur, que l’on doit ce positionnement innovant qui concilie et réconcilie sexualité et spiritualité en appuyant chacune de ses discussions sur un corpus religieux et traditionnel pour mieux déconstruire les croyances patriarcales. Féministe revendiqué, sensible aux questions d’inclusion, il donne la parole à des personnalités connues du grand public ou moins identifiées, qu’elles soient cis, hétéro ou trans, arabes, blanches ou noires, musulmanes ou non. « Je profite de mon privilège d’homme pour donner la parole à une génération de personnes qui inscrivent leur pensée dans un féminisme nouveau, intersectionnel et décolonial, revendique Jamal. L’idée est de vivifier l’histoire de la littérature arabe, parsemée de textes érotologiques et homoérotique et d’expliquer qu’il n’y a pas qu’une seule grille de lecture du Coran. »

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    À son micro se sont en effet exprimées une majorité de femmes, comme les autrices Fatima Daas et Leïla Slimani, la militante Rokhaya Diallo, la philosophe Françoise Vergès, ou l’ancienne travailleuse du sexe Zahia Dehar. Mais pas seulement. Ouisssem Belgacem raconte par exemple sa sortie progressive de la honte d’être arabe, musulman et gay en milieu sportif. « Ce podcast est une ressource pour toute personne qui se sent seule dans son identité. Parmi les auditeurs, 25% se concentrent au Maroc, en Tunisie ou au Sénégal, où la question de l’homosexualité est une obsession quasi-politique. Même si on ne partage pas tou.te.s les mêmes idées, il y a consensus à trouver un espace de parole libre et safe. »

    « Afrotopiques », le podcast visionnaire

    La chercheuse franco-tchadienne Marie-Yemta Moussanang (dr.) sur le tournage du podcast

    La chercheuse franco-tchadienne Marie-Yemta Moussanang (dr.) sur le tournage du podcast “Afrotopiques”, en entretien avec Aminata Dramane Traoré, à Bamako, en décembre 2022. © Afrotopiques

    Point de départ de ce podcast imaginé par la chercheuse franco-tchadienne Marie-Yemta Moussanang : Felwine Sarr et son livre « Afrotopia ». Dans cette série d’entretiens avec des intellectuels, chercheurs, militants, artistes, entrepreneurs, citoyens ou encore paysans, il est question d’imaginer l’Afrique de demain à travers sa mécanique sociale et économique. Le premier épisode donne le ton : « Tourner nos regards vers le patrimoine mondial de réinvention, d’adaptation et de solutions élaboré dans les sociétés non-industrielles (…) pour regarder le présent et imaginer le futur à partir de ce que l’Afrique-monde permet d’envisager ».

    Cultures, écologie, épistémologie, philosophie, économie, politique… La série Afrotopiques, diffusée sur la webradio R22 Tout-Monde, est un moment d’échanges qui porte l’attention sur les enjeux civilisationnels de notre époque, explore les voies et fait entendre les voix en dissonance avec le discours dominant. Parmi elles : le politologue Malcom Ferdinand, auteur d’une Écologie décoloniale (Seuil, 2019), l’architecte Sénamé Koffi Agbodjinou qui travaille depuis Lomé, au Togo, à redéfinir en des termes inclusifs la ville intelligente et durable, ou encore Haïdar El Ali, acteur et activiste d’une écologie politique participative et populaire au Sénégal.

    « Boulevard du village noir », le podcast militant

    Shyaka Kagame, réalisateur de documentaires, créateur du podcast

    Shyaka Kagame, réalisateur de documentaires, créateur du podcast “Boulevard du village noir” diffusé sur la RTS. © RTS/Jay Louvion

    « Pourquoi est-il si compliqué de nommer le racisme dans notre pays ?», s’interroge Shyaka Kagame, 40 ans, réalisateur de documentaires, dans son premier podcast issu de la collection « La face cachée de la Suisse », produit et diffusé sur la RTS. En six épisodes, d’une vingtaine de minutes, le Suisse d’origine rwandaise explore les imaginaires racistes et l’inconscient colonial de son pays. Point de départ de son enquête mêlant brillamment récit de l’intime et récit national ? Une agression raciste dont il a été victime en 2020, à Genève. Shyaka porte plainte. Le verdict tombe : son agresseur est déclaré coupable de voies de fait et d’injures. Mais la justice ne condamne pas la dimension raciste de l’agression.

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    C’est le début d’un combat judiciaire pour Shyaka Kagame, qui réalise bientôt les limites de la justice suisse quand on est victime d’agression raciale. « Il ne s’agit pas d’un cas personnel, mais sociétal, précise-t-il. En Suisse, il y a cette croyance populaire qui consiste à penser que le racisme nous est extérieur, car le pays n’a pas eu de colonies. C’est le mythe de l’exceptionnalité suisse qui est par ailleurs enseigné. Or, on ne m’a pas traité de sale noir, mais de singe. Les imaginaires coloniaux sont bien ancrés », décrypte l’auteur qui fera, au cours de son enquête, la découverte d’un village nègre situé à deux pas de l’endroit où il a été agressé et où il vit : le boulevard Carl Vogt, du nom de ce scientifique du XIXe siècle aux thèses racialistes dont le discours a infusé une partie de la Suisse. Au moyen de recherches et d’échanges avec des universitaires et son avocat, Shyaka Kagame livre un récit passionnant sur un pan méconnu de la Suisse et sur une société qui prend tout juste conscience d’une part sombre de son histoire.

    « La surprise du chef », le podcast gastro

    Image de présentation du podcast

    Image de présentation du podcast “La surprise du chef”. © Euronews

    Un ingrédient, un chef. Voilà comment on pourrait résumer la formule gagnante de ce podcast gourmand diffusé sur Euronews. Cette série de 10 épisodes invite à remettre sur la table des ingrédients traditionnels oubliés du continent, majoritairement boudés par les populations au profit des produits européens.

    « Avant la colonisation, nous avions des céréales et des légumineuses traditionnelles, que les gens cultivaient dans le cadre de leur alimentation quotidienne. Mais à cause de la colonisation, nous avons commencé à sous-estimer certains aliments que nous consommions régulièrement, et nous les avons qualifiés de cultures inférieures », explique ainsi le professeur Abdou Ka, anthropologue de l’alimentation, au micro de la journaliste Pascale-Mahé Keingna. Pourtant, ces ingrédients sont souvent l’occasion pour les consommateurs de sublimer des produits frais et de saison, de concocter une cuisine du marché et de prôner une économie locale en circuit court : le gage d’un régime sain en phase avec une consommation responsable.

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    Au programme, le niébé raconté et cuisiné par la cheffe franco-sénégalaise Fati Niang, le fonio remis au goût par le chef Pierre Thiam, l’arachide expliquée par la jeune star culinaire nigériane Moyo Odunfa, ou encore le soumbala exploré par Franceline Tranagda, cheffe cuisinière et gérante d’un restaurant au Burkina Faso. Autant de produits du continent qui permettent de (re)découvrir l’histoire culinaire et culturelle des pays explorés par l’animatrice, qui nous emmènent en immersion sur le terrain, du marché aux fourneaux, grâce à des recettes faciles à réaliser.

    « Une afropéenne en pays Sawa », le podcast écolo

    “Une Afropéenne en pays Sawa”, un podcast d’Estelle Ndjandjo produit par RFI. © RFI

    Munie de son micro aux couleurs de RFI, Estelle Ndjandjo, 29 ans, s’en est allée en pays Sawa sur les traces de ses ancêtres vivant sur les côtes camerounaises. Dans ce reportage de trois épisodes sous forme de voyage initiatique, la journaliste s’attaque à la symbolique de l’eau et s’interroge sur l’impact de la pollution du littoral et des fleuves sur les populations et leurs modes de vie. « Le peuple Sawa dépend énormément de l’eau. Les pêcheurs ne trouvent plus de poissons dans les fleuves du bassin du Congo, a-t-elle pu observer. La crise environnementale a des conséquences sociales et culturelles ». Mais s’il est une tradition qui perdure tant bien que mal, c’est celle de la cérémonie du Ndongo, cette course de pirogues ancestrales à laquelle politiques et chefs traditionnels répondent présents, pendant que, sur les berges, des rites s’organisent et font appel aux génies des eaux. Voilà le point de départ de la quête spirituelle et journalistique d’Estelle Ndjandjo, qui nous embarque sur les rives du fleuve Wouri, à Douala.

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    La documentariste prend à rebours les clichés qui font des questions environnementales une affaire occidentale. « L’environnement paraît secondaire face à l’urgence de régler le conflit armé dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest du pays, mais les personnes réfugiées s’installent justement au niveau des mangroves, rappelle Estelle. L’urgence climatique est une priorité au Cameroun, comme partout ailleurs en Afrique, car elle a affaire aux besoins primaires, comme se laver dans une rivière qui est désormais polluée, notamment par les usines chinoises et occidentales qui y déversent leurs déchets ». Que reste-t-il de l’héritage culturel des Sawas, à l’heure de l’urgence climatique ? C’est la question à laquelle la documentariste tente de répondre, en allant à la rencontre de quelques acteurs de l’entrepreneuriat vert comme un océanographe, un chargé d’écotourisme, ou un directeur d’un centre de recyclage.