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En Afrique, les gouvernements tournent le dos aux subventions au carburant

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Début octobre, le président nigérian, Bola Tinubu, a réussi in extremis à désamorcer un appel à la grève nationale. En annonçant des transports publics moins chers et une hausse temporaire du salaire minimum pour les travailleurs les moins bien payés, le dirigeant de la première économie d’Afrique a tenté de répondre au mécontentement qui gronde face à un quotidien toujours plus cher.

Nourrie par les conséquences de la guerre en Ukraine, cette inflation galopante est aussi le revers des réformes spectaculaires initiées par le chef de l’Etat dès son arrivée au pouvoir, fin mai : la libéralisation du naira (la monnaie nationale) et plus encore la suppression des subventions aux carburants. La fin de ce dispositif a entraîné un triplement du prix de l’essence, qui s’est répercuté sur le coût des transports, de la nourriture ou de l’électricité.

Douloureuse, la mesure a tout de même été applaudie par les investisseurs et le Fonds monétaire international (FMI), alors que le pays est lesté par une dette dont le remboursement absorbe plus de 90 % des revenus de l’Etat. Les subventions au carburant ont coûté près de 10 milliards de dollars l’an dernier (environ 9,4 milliards d’euros), soit un cinquième du budget fédéral et « quatre fois le montant dépensé pour la santé », rappelle le FMI dans son nouveau rapport consacré aux perspectives économiques en Afrique subsaharienne. L’institution s’y félicite qu’à l’instar du Nigeria, plusieurs pays du continent « ont entamé d’importantes réformes des subventions à l’énergie afin de se ménager la marge de manœuvre nécessaire à des dépenses de développement ».

« Certains Etats n’ont plus le choix »

De fait, du Sénégal à l’Angola en passant par le Ghana, la Zambie ou le Congo, des réformes sont annoncées ou déjà mises en œuvre pour réajuster à la hausse le prix des produits pétroliers. Une décision souvent impopulaire, mais « la position budgétaire de certains Etats s’est tellement détériorée qu’ils n’ont plus le choix », estime Luc Eyraud, directeur des études au département Afrique du FMI.

Alors que l’endettement n’a cessé de grimper ces dernières années, les pays sont désormais piégés par la remontée globale des taux d’intérêt, qui fait flamber les coûts d’emprunt. Sans compter la facture pétrolière, qui a démesurément gonflé aux premiers mois du conflit russo-ukrainien, y compris au sein des pays producteurs de pétrole, qui achètent l’essentiel de leur carburant raffiné à l’étranger.

L’Angola a ainsi consacré l’an dernier 1 900 milliards de kwanzas (environ 2,2 milliards d’euros) au contrôle des prix des carburants, soit plus de 40 % des dépenses affectées aux programmes sociaux, selon le FMI. Ce grand producteur d’hydrocarbures a annoncé en juin le retrait progressif des subventions d’ici à 2025. Même calendrier au Sénégal, où le montant des aides associées aux produits énergétiques a représenté en 2022 plus de 4 % du PIB. Au Congo-Brazzaville, classé comme surendetté et sous programme FMI, le gouvernement s’est résolu à diminuer ses aides de 30 % entre février et juillet. L’an dernier, ce poste budgétaire était équivalent à ce que le pays a dépensé pour tout le secteur de la santé.

« Outre le fait que ces subventions coûtent souvent plusieurs points de PIB au détriment d’autres dépenses, elles ont un effet très régressif car elles profitent à tout le monde, y compris et de façon souvent disproportionnée aux plus riches », insiste Luc Eyraud.

Mais leur retrait est généralement éprouvant pour l’ensemble de la population. « Cela renchérit les prix à la pompe, mais aussi le coût des transports collectifs et de l’approvisionnement alimentaire, qui sont de gros postes de dépense pour les ménages pauvres, souligne Dominique Fruchter, économiste chargé de l’Afrique de l’Ouest à la Coface. Il y a aussi un impact pour les petites industries qui fonctionnent grâce à des générateurs. Au Nigeria par exemple, elles sont très nombreuses. »

Mesures de compensation

Le FMI et la Banque mondiale réclament de longue date l’arrêt de ces programmes de réglementation des prix, tout en préconisant d’y associer des mesures de compensation ciblant les plus pauvres. Mais l’exercice peut se révéler très complexe dans des pays qui manquent de données fiables sur leur population.

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Au Nigeria, le registre officiel comptabilisant les ménages vulnérables recense quelque 60 millions d’individus. La Banque mondiale, elle, estime leur nombre à près de 90 millions de personnes. Et celui-ci pourrait monter jusqu’à 100 millions, suivant la suppression des subventions au carburant, si le gouvernement ne parvient pas à accompagner correctement les segments de la population les plus fragiles. Dans un rapport publié en juin, l’institution exhortait le gouvernement à publier intégralement les montants de la future compensation, les critères d’éligibilité et les mécanismes de transfert afin de permettre à la société civile d’en contrôler le respect.

« Quand on coupe une subvention, cela peut permettre une économie significative, mais aussi alimenter un climat de défiance dans des pays où la transparence n’est pas suffisante », indique Rabah Arezki, directeur de recherches au CNRS et ancien chef économiste de la Banque africaine de développement (BAD) : « Les gens demandent : où va l’argent ? »

En Angola, cinq personnes ont été tuées en juin lors des manifestations qui ont suivi l’annonce de la réforme. « Nous en tirons les leçons », a assuré mardi 10 octobre, en marge des assemblées générales du FMI et de la Banque mondiale, la ministre angolaise des finances, Vera Esperança dos Santos Daves de Sousa. Au point de ralentir, voire d’interrompre le mouvement ? « Tout est ouvert », a-t-elle indiqué.

Au Kenya, le président William Ruto avait aboli les subventions au carburant lors de son arrivée au pouvoir, en septembre 2022. Alors que le pays a été secoué ces derniers mois par de violentes manifestations antigouvernementales contre la cherté de la vie, des aides temporaires ont été rétablies en août. Preuve qu’il n’est guère aisé de supprimer d’un trait de plume ces mesures de réglementation des prix. « Aujourd’hui, forcés par la conjoncture, les pays procèdent à des coupes claires, résume Rabah Arezki. Mais il est déjà arrivé par le passé que ces subventions soient enlevées puis remises sous la pression des soulèvements. »

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